Médicaments génériques: ces effets pas vraiment secondairesPar
Vincent Olivier, publié le 06/04/2013 à 11:54
Des médecins témoignent et interpellent les autorités sanitaires : les génériques perturbent le traitement de nombre de patients. Dont la réaction au produit n'est pas toujours bénigne.
La dernière fois qu'il a vu sa patiente, "une petite grand-mère que je soigne depuis des années",
Jean-Yves Maes lui a demandé, par acquit de conscience, si elle prenait bien son antiulcéreux. La réponse est tombée, sans appel: "Docteur, j'ai arrêté, car j'ai trois boîtes différentes à la maison, je m'y perds!" Ce généraliste, installé à Lambersart, dans le Nord, a dû ravaler sa colère. "Je suis désabusé: même quand je marque "non substituable", le pharmacien n'en tient pas compte et, au final, c'est le patient qui trinque." A l'image de ce quadragénaire à qui le praticien a prescrit un jour un vasodilatateur "DCI" (dénomination internationale), en inscrivant "trimétazidine" sur l'ordonnance. Le pharmacien s'est trompé: il a donné de la trimébutine, un antispasmodique digestif. "Une erreur, ça peut arriver. Heureusement qu'il s'agissait d'un patient jeune et sans complication..." Tout le contraire de cette vieille dame aux antécédents multiples dont le diurétique,
un autre générique, se coupait tout seul en deux. Résultat: "Elle a pris la moitié de la dose efficace pendant des jours et des jours."
>> Lire notre enquête:
le cri d'alarme des médecins Des histoires comme celles-là, le Dr Maes en a "des dizaines", assure-t-il. Encore ne s'agit-il là que de cas relativement bénins. Les choses se corsent pour des pathologies plus graves. Endocrinologue au CHU de Limoges, le Pr
Marie-Pierre Teissier s'occupe de
diabétiques sévères. Pour un même principe actif, la metformine, il existe deux familles de génériques censées équilibrer leur diabète. Mais les deux familles en question ne s'absorbent pas au même niveau du tube digestif car, selon l'enrobage, le mode d'action diffère - et les conséquences aussi, diarrhées, douleurs diverses... "Avec un diabète bien contrôlé, les conséquences restent mineures. En revanche, pour un pancréas au bout du rouleau, l'efficacité thérapeutique peut varier dans des proportions importantes - sans même parler des réactions allergiques propres à chaque excipient. Les laboratoires ont beau nous assurer le contraire, dans mon exercice quotidien, je vois des différences."
Personne ne nous écoute. Sauf quand ça crève l'écran...
Le Pr Teissier trouve "très curieuse" l'absence de réponse des pouvoirs publics aux questions "légitimes" que posent les médecins. Elle se dit surtout "agacée" par le fait que, lorsque la Société francophone du diabète alerte les pouvoirs publics sur un problème spécifique, "personne ne nous écoute. Sauf quand ça crève l'écran..." Marie-Pierre Teissier fait allusion à un courrier envoyé en mai 2010 par l'Agence du médicament aux généralistes, endocrinologues, gynécologues et aux pédiatres à propos d'un médicament, le Lévothyrox, utilisé dans le traitement de l'hypo-thyroïdie. Tout en assurant une "bioéquivalence" entre ce médicament et ses génériques, l'Agence rappelait qu'une variation "même très faible" due à un changement de traitement pouvait "perturber l'équilibre thérapeutique". Certes, ajoutait-elle, cela n'est censé arriver que chez "certains patients". Mais la liste des individus concernés était longue : enfants, personnes âgées, femmes enceintes, troubles cardio-vasculaires, cancers thyroïdiens, voilà qui fait du monde. "Certains patients" seulement?
L'excipient change la vitesse d'absorption d'une moléculeEn d'autres termes, l'Agence reconnaît à demi-mot que les
génériques ont beau être équivalents, ils n'ont pas forcément la même efficacité! "Ce qui n'a rien d'étonnant, note le Pr Teissier, puisque l'excipient change la pharmacologie d'une molécule, y compris sa vitesse d'absorption dans l'organisme." Or, cet élément-là demeure fondamental dans de nombreux traitements. Contre l'insuffisance cardiaque par exemple, pour laquelle, fait remarquer le Pr
Yves Juillière, du CHU de Nancy, "l'enjeu est de trouver la posologie la plus forte possible pour obtenir une concentration sérique [dans le plasma du patient] maximale du produit. Mais cela, aucun générique ne peut le garantir". De fait, certains patients mentionnent des réactions cutanées ; d'autres, une moindre efficacité. Plus inquiétant encore, "des troubles du rythme cardiaque réapparaissent, alors même que le malade était jusque-là stabilisé".
Parfois, ces effets indésirables peuvent mener le malade jusqu'à l'hospitalisation en urgence. Le Dr Julien Blain a encore en mémoire ce quinquagénaire atteint d'insuffisance cardiaque, à qui le pharmacien avait délivré un diurétique générique, et qui s'est retrouvé en réanimation en 2010 car il n'urinait plus assez. "J'ai alerté les autorités sanitaires, mais j'attends toujours la réponse qui m'aurait permis de déclarer officiellement cette complication..." Oubli malheureux, simple erreur administrative ? Ce généraliste du Val-d'Oise n'y croit pas. "Au ministère de la Santé, ils ne sont ni idiots ni incompétents. Mais quand on a 40 de fièvre, c'est tellement plus facile de ne pas utiliser de thermomètre."