Les obsessions mystiques de Xavier de Ligonnès mises au Net
Xavier Dupont de Ligonnès, sa femme Agnes, et leurs enfants Arthur, Thomas, Anne, Benoit. (© AFP Nicolas Cado)
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Récit Les enquêteurs ont récupéré les messages du fugitif nantais postés depuis deux ans sur un forum catholique, où il s’est connecté pendant sa cavale.
Par PATRICIA TOURANCHEAU, MATHIEU PALAIN
Les centaines de messages de Xavier de Ligonnès postés sous les pseudos de «Chevy» et de «Ligo» sur le forum internet la Cite-catholique.org intéressent au plus haut point la police judiciaire (PJ). Ce n’est pas tant le délire mystique et narcissique de cet homme âgé de 50 ans, suspecté d’avoir exécuté sa femme et ses enfants, qui les passionne. Bien que sa perte de foi, sa logorrhée sur les sacrifices et les «révélations divines» de sa mère apportent «des renseignements non négligeables sur son état d’esprit», selon un policier. Mais, «vu que l’enquête est au point mort», le prudent fugitifn’utilisant «pas son téléphone mobile, et plus sa carte bancaire depuis le 14 avril», la PJ mise sur un faux pas de sa part, sur une connexion qui permettrait de le localiser.
En effet, une fois consommés les meurtres des siens, Ligo s’est greffé sur la conversation des internautes de la Cité catholique au sujet des «ancêtres de Jésus» vendredi 8 avril à 12 h 43. Déjà en cavale sur les routes de France, comme si de rien n’était, le suspect disserte sur «l’ascendance de Jésus». Or, l’adresse IP utilisée par Xavier de Ligonnès ce jour-là est basée à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes).
«Sacrifices». A compter de mars 2009, Xavier de Ligonnès navigue sur Cite-catholique.org comme dans un océan de liberté. Il s’y déchaîne, lâche ses doutes, ses questions et pulsions, banni parfois par le modérateur. Caché sous l’un de ses masques favoris - Ligo -, pseudo qui sent bon le raccourci, il s’en va explorer les tabous de sa religion. Le sacrifice attire son attention. Il y a tout juste un an, le 29 avril 2010, Xavier ouvre l’espace de discussion intitulé «Nécessité des sacrifices», avec en guise d’introduction : «En quoi Dieu a-t-il besoin, ou envie, qu’on Lui offre la mort d’une bête, d’un enfant, d’un homme… de son fils ? Merci pour vos réponses.» Les candidats au conseil ne se bousculent pas. Au bout d’un mois, «Hélène» tente une persuasion : «J’espère que vous êtes d’accord avec moi que nous n’avons plus à offrir des sacrifices d’animaux…» Ligo ne pense pas forcément à nos amis les bêtes : «Si Dieu ne demande pas de sacrifices humains, il les AGRÉE de toute façon.» L’affirmation déchaîne «Raistlin», exaspéré par ce Ligo qui multiplie les «parallèles douteux» et ne sait pas lire la Bible sans «sortir les passages de leur contexte». Vexé, Ligo persiste et signe : «Le concept de sacrifice, sanglant ou non, humain ou animal, est intrinsèquement lié à toutes les religions, et surtout la nôtre.»
Puis, Xavier de Ligonnès se livre à son outing d’agnostique. Vendredi 19 mars 2010 à 16 h 08 : «J’ai été catholique convaincu pendant trente-cinq ans… sans jamais avoir eu la foi !» Et de se justifier : «J’ai cru les prêtres et mes parents, pour moi tout était clair et évident, sans que j’aie besoin de réfléchir ou de douter. On m’apprenait que 2+2=4 et que Jésus était ressuscité, je prenais l’une et l’autre leçon pour des vérités indiscutables.» Aux bons samaritains qui tentent de le raisonner, Chevy rétorque : «Il vous manque un élément essentiel pour comprendre. J’avais la foi (enfant de chœur, membre du Mouvement de la jeunesse catholique de France, prières quotidiennes sous forme de dialogues avec le Christ, la Vierge et mon Ange gardien, etc.). Je faisais même partie d’un groupe de personnes regroupées autour d’une "messagère" recevant des "révélations privées" : donc des textes venant directement de Dieu. D’où les certitudes, puisqu’il était hors de question d’imaginer que cette messagère puisse simuler ou être folle : c’était ma propre mère…»
«Immortelle». Xavier de Ligonnès explique que sa mère lui transmet des messages divins sous forme de petits textes, depuis 1972. «J’avais 11 ans à l’époque, j’en ai 49 actuellement. Que feriez-vous à ma place ? Prendriez-vous votre mère pour une sainte, une messagère, une âme privilégiée ou une "dérangée mentale" ?» A la fin de ce week-end d’intense réflexion, il envoie valser tous les Evangiles, les «miracles» qu’il a vus, «statues et photos du Christ qui saignent», et les pèlerinages saints : «Malgré cela, je ne crois plus en rien, en tout cas pas en un Dieu personnel. Allez-vous considérer mon cas comme désespéré ?»
A Noël 2010, Xavier de Ligonnès passe son réveillon accroché à son clavier d’ordinateur à s’interroger sur l’âme des humains, «immortelle», et l’âme des chiens, «non spirituelle», qui «disparaît avec leurs corps». Sans évoquer ses deux labradors dont les cadavres seront découverts le 21 avril avec deux balles dans la tête aux côtés des cinq membres de sa famille. A l’époque, le sacrificateur s’entraîne déjà depuis deux semaines à la société nantaise de tir.