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 "Notes sur l'euthanasie..."

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MessageSujet: "Notes sur l'euthanasie..."   "Notes sur l'euthanasie..." Icon_minitime22.05.12 19:14

NOTES SUR L'EUTHANASIE
 
 
Michel Cavey, médecin-chef de l'hôpital Saint Jean, Briare, France.
 

La question de l'euthanasie est posée à notre société depuis longtemps. Il y a eu, spécialement dans les années 94-95, plusieurs débats télévisés sur le sujet, et la pression se fait de plus en plus insistante pour instituer une loi sur le sujet. Une association, l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, milite dans ce sens.
 
Au cours de l'été, deux affaires ont remis le problème sur le devant de la scène :
 
Une infirmière de l'hôpital de Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, a reconnu avoir mis fin aux jours d'une trentaine de malades.
 
Un médecin de la région toulousaine a été traduit devant l'Ordre régional pour avoir effectué une euthanasie. Il a été relaxé par ses pairs.
 
C'est ce qui a poussé le Secrétaire d'Etat à la Santé à demander l'ouverture d'un débat parlementaire sur le thème de l'euthanasie.
 
Il est donc indispensable de reprendre la discussion, en essayant de préciser les notions utilisées : une grande part du débat vient en effet de ce que les différents interlocuteurs ne mettent pas les mêmes choses derrière les mêmes mots.
 

 
DEFINITIONS :
 
Le premier mot à définir est celui d'euthanasie, ou plutôt d'euthanasie active.
 
Lorsqu'un malade est en proie à une souffrance particulièrement mal supportée, il arrive que le médecin se sente désarmé. Il ne sait plus quoi faire, et il ne peut laisser le malade dans cet état. Alors il le tue. Cela peut se faire de diverses manières, notamment par un gaz , mais plus souvent par un médicament qui est le plus souvent très simple.
 
Le problème est que, tout bien considéré, il n'existe aucune situation qui impose le recours à l'euthanasie active pour mettre un terme à une souffrance quelle qu'elle soit. Il n'est jamais nécessaire de tuer les gens pour améliorer leur confort de vie : dans l'immense majorité des cas le confort physique est très convenablement maintenu par des moyens assez simples ; par exemple la morphine vient à bout de 90% des douleurs, à condition d'être maniée avec discernement ; de même la détresse psychologique peut être considérablement améliorée par l'accompagnement.
 

 
Mais on parle souvent d'" euthanasie passive ". Le terme d'euthanasie passive est l'un des plus ambigus qui soient, et il faudrait le bannir du vocabulaire. C'est en gros le fait de renoncer à effectuer de soins à un malade, de manière à ne pas prolonger sa vie. Mais il faut comprendre que ceci recouvre des situations extrêmement différentes.
 
On a dit que dans les services de réanimation 50% des décès proviennent d'un acte d'euthanasie. C'est évidemment faux : la réalité est que la moitié des décès sont survenus après que les réanimateurs ont constaté l'inutilité de leurs efforts, et qu'ils on pris la décision d'abandonner les soins par crainte de verser dans l'acharnement thérapeutique.
 
Il n'existe là aucune notion d'euthanasie.
 
La maladie est due à l'action de la nature. Toute action de l'homme se définit toujours comme ce qui s'oppose au cours naturel des choses. L'euthanasie est un comportement par lequel, au lieu de laisser faire la nature, on cherche à en dévier le cours en l'accélérant. Au contraire l'abandon thérapeutique est un comportement par lequel, au lieu de chercher à dévier le cours de la nature, on décide de laisser faire. La seule question qui se pose alors est technique : les réanimateurs ont-ils bien apprécié la situation en décidant que le malade est perdu ?
 
Prenons maintenant l'exemple de cette malade de 95 ans, lucide, qui a décidé après une bronchite au demeurant guérie qu'elle ne voulait plus manger ni boire, encore moins être soignée. La solution technique est simple : il faut la perfuser, mettre une sonde gastrique, attacher les mains de la malade pour l'empêcher d'arracher ses sondes et la traiter de force. Nous avons choisi de ne pas le faire, considérant que la décision de la malade était claire, que de toute manière elle parviendrait à ce qu'elle voulait, et que la perte de qualité de vie imposée par ce traitement agressif était inacceptable en regard du bénéfice attendu en termes de durée.
 
Il se peut que l'équipe ait mal apprécié la situation. Mais il ne s'agit pas là d'euthanasie. Certains prétendront voir là une non-assistance à personne en danger mais on discutera cette notion plus loin.
 
Cette patiente de 87 ans, grabataire, démente, ne communiquant plus, présente un trouble apparemment grave et d'origine inconnue. La solution technique est simple : il faut la transférer dans un grand centre et procéder à des examens agressifs et complexes. Après concertation avec la famille, nous y avons renoncé, considérant que le pronostic à court terme n'est pas bon, et qu'il ne convient pas d'assombrir les derniers jours de la malade par des investigations pénibles, que le transfert, le changement d'équipe soignante, le dépaysement de la malade, l'agressivité des gestes proposés, sont des facteurs susceptibles d'aggraver considérablement l'état de la malade, et de mettre sa vie en danger, que les examens envisagés ont toute chance d'aboutir à des diagnostics pour lesquels aucun traitement ne pourrait être mis en oeuvre.
 
Il se peut là aussi que l'équipe ait été trop pessimiste ; mais l'erreur d'appréciation ne saurait être assimilée à une euthanasie.
 
Par contre, si cette patiente se met à faire une pneumonie, faut-il la traiter en considérant qu'elle doit en guérir, ou faut-il s'abstenir au motif qu'elle est au bout de sa vie, qu'il faut bien mourir de quelque chose, et que la mort qui se propose là est somme toute assez confortable ? Il arrive en effet que le médecin se sente en position de devoir décider de quoi le malade doit mourir. Le choix est ici délicat, car les risques d'erreur d'appréciation sont grands ; mais il semble que le médecin qui s'abstiendrait totalement pourrait peut-être là être taxé d'euthanasie passive. On serait dans le même cas si on avait affaire à un malade atteint de cancer, et pour qui on renoncerait à une chimiothérapie qui, pourtant, permettrait sans doute de lui donner trois mois de vie supplémentaires, sous prétexte que ce sursis ne vaut pas la peine d'être vécu.
 
On voit que dans ce débat l'essentiel de la difficulté n'est pas dans le fait de savoir s'il y a ou non euthanasie, mais dans le fait que la décision ne peut être prise qu'en pesant toute les données de la situation. Autant dire que toute décision est forcément individuelle, non systématisable, et toujours douteuse.
 
On parle aussi du " droit de mourir dans la dignité " : il existe des gens qui considèrent que la fin de la vie ne les intéresse pas, et que, quels que soient les moyens qu'on déploiera pour assurer leur confort, ils ne veulent pas vivre ces instants-là. Leur revendication est de pouvoir décider alors de leur mort. La question qui est posée là est celle du droit au suicide, et il ne s'agit pas d'euthanasie.
 
Cette question est sans doute la plus difficile, et c'est là que le malentendu est assurément le plus total ; la mauvaise foi également. Car les militants de l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité se prévalent du résultats des sondages : ces sondages indiquent que 75% des Français souhaitent qu'on mette fin à leurs jours dans le cas où leur fin de vie se déroulerait dans des souffrances insupportables. Mais ceci n'a aucun rapport avec la question posée ! On imagine bien que personne ne souhaite mourir dans des souffrances insupportables, et l'anomalie est qu'il n'y ait que 75% des gens pour réclamer la mort : les 25% restants doivent être des masochistesÉ En ce qui me concerne il va de soi que je souhaite qu'il soit mis fin à mes jours en cas de souffrances insupportables. Le problème est qu'il n'existe aucune situation où le confort ne puisse être assuré. Le sondage doit donc être refait avec une question plus honnête : " Sachant que nous vous garantissons une fin de vie sans souffrances insupportables, souhaitez-vous quand même qu'on mette fin à vos jours ? ". On pourrait alors distinguer ceux qui ne veulent pas vivre la souffrance, et réclament l'euthanasie dans ce cas et ceux qui veulent simplement écourter une fin de vie jugée sans intérêt, et qui réclament une aide au suicide.
 
 
Il y a enfin des situations exceptionnelles : car toute règle a des exceptions, même si on ne voit pas très bien quelle situation pourrait ne pas être réglée par le recours au sommeil induit, qu'on présentera plus loin. Mais on doit rappeler d'une part que les choses exceptionnelles, précisément, ne sont pas fréquentes ; d'autre part que la loi n'a aucune capacité à traiter les exceptions.
 

 
LA LOI :
 
La loi n'est rien d'autre qu'un ensemble de conventions destinées à organiser la vie en société. Il s'ensuit deux conséquences :
 
D'une part la loi ne connaît pas d'autre critère que l'efficacité. En particulier elle n'a que faire de la morale ou de l'éthique. C'est ainsi que les faux-monnayeurs sont passibles de peines plus lourdes que les violeurs : la société tolérerait plus facilement l'insécurité sexuelle que l'insécurité monétaire... Ou encore on sait que dans les Etats-Unis de l'époque du western, les voleurs de bétail étaient pendus plus systématiquement que les assassins. C'est que l'élevage extensif ne pouvait être sécurisé, et que toute l'économie américaine s'effondrait si on ne pouvait plus pratiquer l'élevage. La société de ce temps-là pouvait donc tolérer en son sein quelque brutes, mais pas de voleurs de chevaux. De la même manière la loi anglaise prévoyait la peine de mort systématique en cas de meurtre d'un policier : c'est que les policiers anglais ne sont pas armés. En pratique il est souvent efficace de fonder une loi sur la morale, mais c'est là un simple concours de circonstances : les mathématiques modernes feraient aussi bien l'affaire si les lois en résultant étaient efficaces .
 
En aucun cas d'autre part la loi ne peut prendre en compte les exceptions. C'est même le contraire qui se produit. Si les hommes édictent des lois, c'est parce qu'ils sont incapables de régler le problèmes au cas par cas dans de bonnes conditions. On doit méditer ce point particulièrement effarant : la démocratie est un système dans lequel tous les citoyens sont soumis aux mêmes lois ; cela veut dire qu'on s'en remet à un papier du soin de régler les affaires humaines, faute de pouvoir s'en remettre à l'intelligence de chacun. Il y a là quelque chose de profondément désolant : le seul système réellement digne de l'humain serait leÉ despotisme, dans lequel le prince utilise sa sagesse pour régler les problèmes un par un dans le seul souci du bien commun. Le problème est que le prince n'est jamais sage, ce qui fait que le démocratie est le seul système pratiquement convenable ; ce n'en est pas moins désolant.
 
Il s'ensuit que la loi est une convention permettant de régler un problème donné dans le cas général. Non seulement la loi ne permet pas de résoudre les problèmes posés par les exceptions, mais elle crée nécessairement des exceptions aux marges de la question qu'elle résout. La loi est d'abord une définition.
 
Prenons par exemple la couleur : je vais par une loi définir le jaune et par une autre loi le rouge. Puis je vais classer les nuances : il y a des jaunes indiscutablement jaunes et des rouges indiscutablement rouges. Mais il y a des jaunes pas très jaunes, qui tirent sur le rouge, et des rouges pas très rouges, qui tirent sur le jaune. Plus je m'éloigne du jaune et moins je suis à l'aise. A la marge du jaune il y a des couleurs qui ressemblent au rouge, et à la marge du rouge des presque jaunes ; bref il y a une couleur que je n'ai pas le droit de dire jaune ou rouge, il y a une couleur qui échappe à la loi.
 
Naturellement, je vais résoudre le problème en créant une nouvelle couleur que j'appelle orangée. Mais quand je l'aurai fait je n'aurai rien fait d'autre que déplacer le problème : car il y aura des orangés qui sont presque jaunes et d'autres qui sont presque rougesÉ J'ai ainsi cru régler la question de la marge, mais en réalité j'ai maintenant deux marges au lieu d'une.
 
Non seulement la loi n'est pas faite pour être juste (son seul critère est l'efficacité), mais elle crée l'injustice : elle est faite pour régler le cas général, mais plus on s'éloigne du cas moyen moins bien elle s'applique ; il en va de la loi comme des planisphères, qui sont justes à l'équateur et de plus en plus faux à mesure qu'on s'approche des pôles. A la marge elle devient totalement injuste. Et le problème n'a pas de solution : multiplier les lois revient à multiplier les marges. Le plus bel exemple est sans doute celui de la loi sur les internements psychiatriques : la loi de 1838 permettait d'enfermer tous les fous ; son inconvénient était que, parfois, elle permettait d'enfermer des sujets qui n'étaient pas fous ; la loi de 1991 permet d'assurer que jamais on n'enfermera un sujet qui n'est pas fou ; l'inconvénient est qu'il y a des fous, éventuellement dangereux, qu'elle ne permet plus d'enfermerÉ
 
S'imaginer, donc, que la loi peut régler les exceptions, c'est ne rien comprendre à ce qu'est une loi. S'imaginer qu'on peut faire une loi pour chaque exception, c'est poursuivre l'utopie du cas par cas.
 
La question de l'euthanasie ne se pose que de manière exceptionnelle. En toute hypothèse elle n'est donc pas du ressort de la loi. C'est un simple cas d'école.
 
D'une manière générale il faut être très prudent face à ce qu'on appelle des " cas d'école ". Le cas d'école est une situation exceptionnelle qui permet de saisir les limites d'un raisonnement.
 
Ainsi par exemple, on se prononce habituellement contre la torture au non du respect de l'homme. Mais, objecte-t-on, que doit-on faire quand on arrête un terroriste qui a caché une bombe menaçant de tuer de centaines d'innocents ? Il n'est pas difficile de voir que dans ce cas aucune solution n'est satisfaisante.
 
Toute la question est de savoir ce qu'on en conclut. Et il n'y a rien à conclure d'une exception. La loi vise à régler des situations concrètes et fréquentes, elle est dans le monde du réel. Le cas d'école est une situation imaginaire, qui n'a rien à voir avec le réel. Se produirait-elle que le cas d'école n'aboutirait qu'au cas de conscience, ce qui veut dire que l'homme s'y trouverait, précisément, démuni du secours de la loi et réduit à se servir pour une fois de son cerveau.
 

 
LA FIN DE VIE DIFFICILE :
 
Tout de même, si la médecine permet de soulager la quasi-totalité des situations, cela signifie précisément qu'elle ne les soulage pas toutes. Très rarement on se trouve confronté à des douleurs rebelles à la morphine ; il existe des troubles respiratoires très pénibles ; des symptômes en apparence anodins, comme des démangeaisons opiniâtres, un hoquet insupportable, des nausées violentes, peuvent prendre le soignant en défaut. Face à ces situations dramatiques, le médecin n'a alors que trois possibilités : assumer son impuissance à aider le malade ; procéder à une euthanasie ; faire dormir le malade. C'est ce qu'on appelle le sommeil induit.
 
Le sommeil induit est l'acte par lequel le médecin décide de plonger un malade dans l'inconscience. Ceci est effectué couramment en réanimation lorsque les soins sont trop douloureux. De même on peut décider, si le malade présente des symptômes particulièrement pénibles, de l'endormir en attendant la mort. C'est le cas par exemple lorsqu'il s'asphyxie. Fait capital, les médicaments qui sont actuellement utilisés pour le sommeil induit présentent la particularité de n'avoir aucune toxicité et d'être totalement réversibles : le malade qui présente des troubles respiratoires pénibles peut ainsi être endormi en quelques secondes pour être réveillé aussi rapidement quand il a une visite.
 
Quelle différence entre le sommeil induit le " cocktail lytique " ? Le cocktail lytique est pour les médecins de soins palliatifs l'abomination de la désolation. De fait il est utilisé fréquemment à l'hôpital pour entraîner des euthanasies. Il importe donc de s'y attarder.
 
Le cocktail lytique, contrairement à ce que son nom paraît indiquer, est très peu toxique. Cela est si vrai que les anesthésistes ont longtemps utilisé des variantes du cocktail lytique (la " neuroleptanalgésie ") pour la chirurgie des sujets âgés fragiles, au motif que ce type d'anesthésie était beaucoup moins dangereux que les autres.
 
Dans ces conditions, que lui reproche-t-on ? Deux choses : d'abord son caractère désuet : il est trop peu dosé en morphine, ce qui fait que le malade ne perd conscience qu'au prix de doses inutiles de sédatifs ; d'autre part il existe maintenant des sédatifs infiniment plus maniables que les neuroleptiques, permettant notamment un réveil plus rapide et de meilleure qualité. D'autre part le fait que si, convenablement utilisé, il est très peu toxique, il suffit de forcer les doses pour qu'il devienne redoutable. Et les médecins qui le prescrivent en fin de vie le font généralement en espérant bien qu'ils vont commettre une imprudence. Ainsi se trouve réalisée une " euthanasie fortuite ", qui est tout de même un modèle d'hypocrisie.
 
Donc, quand les possibilités de soulager le malade sont épuisées, on a toujours la ressource de le faire dormir. Mais cela n'est pas sans poser des problèmes éthiques qui ne sont pas toujours simples : certes, on ne tue pas, mais on supprime la conscience et l'aptitude à communiquer ; or la mort se définit, précisément, comme la perte définitive de cette aptitude... C'est la raison pour laquelle on a parlé à propos du sommeil induit d' " euthanasie psychique ". De fait il importe d'être particulièrement vigilant quant à son utilisation : le sommeil induit n'est légitime qu'en désespoir de cause, et il doit être utilisé pour vaincre la souffrance du malade, non celle de l'entourage, encore moins celle des soignants. D'autre part il doit toujours être réversible. Le sommeil induit n'est pas une euthanasie parce qu'on peut toujours revenir dessus.
 
Naturellement la question demeure de l'hypocrisie, dont les partisans de l'euthanasie ne se font pas faute de nous taxer. On y reviendra en parlant de la dignité.
 

 
LES RISQUES DU METIER :
 
Prendre en charge un malade en fin de vie, c'est osciller perpétuellement entre trois dangers : l'acharnement thérapeutique, la non-assistance à personne en danger et le risque thérapeutique.
 
L'acharnement thérapeutique est le fait d'effectuer sur un malade des soins dont on ne peut pourtant pas raisonnablement attendre de résultats en termes de durée de vie.
 
La question de l'acharnement thérapeutique est la plus difficile de toutes. D'un côté l'idée qu' " on fait souffrir le malade pour rien " est une des grandes angoisses des malades, des familles et des soignants . Le mouvement des soins palliatifs milite contre l'acharnement thérapeutique, et on sait bien qu'il y a des médecins qui ne savent pas jeter l'éponge. De l'autre, rien n'est plus hasardeux que de prendre une décision d'abandon thérapeutique : les miracles existent, et les erreurs d'appréciation aussi.
 
Le problème est que la famille nous dit : " Surtout, qu'il ne souffre pas ". Ce faisant elle pense avoir tout dit, alors que cette demande est la plus suspecte qui soit. Il ne faut pas méconnaître que la mort n'est jamais un bon moment, et qu'il faut à tout prix être présent, accompagnant. " Surtout, qu'il ne souffre pas " se décline aisément, et devient très vite : " faites comme vous voulez, je ne veux pas le savoir " ; on est là aux portes de l'euthanasie. " Surtout, qu'il ne souffre pas " porte en germe le refus de vivre cette souffrance qu'est le spectacle de la mort de l'autre ; on est là aux portes du deuil anticipé. La voie est donc étroite entre l'abandon thérapeutique et l'abandon tout court, pour ne rien dire de l'erreur de pronostic.
 
Bref, si le refus de l'acharnement thérapeutique emporte l'adhésion, il ne faut pas oublier ce que cela impose : d'abord une réflexion sur le concept de non-assistance à personne en danger ; ensuite une position claire vis-à-vis du risque de l'erreur de jugement ; enfin une droiture absolue de tous les protagonistes : si le risque d' une erreur de jugement est pris d'un cÏur léger, on tombe dans une perspective d'euthanasie.
 
La loi décrit l'infraction de non-assistance à personne en danger : il importe que tout individu qui voit un autre dans une situation de danger fasse tout ce qui est en son pouvoir pour écarter ce danger. Naturellement cette obligation s'impose encore plus aux médecins, et longtemps ils l'ont brandie pour éviter toute réflexion sur ce thème ; il est étrange de constater que ce sont maintenant les partisans d'une loi sur l'euthanasie qui le reprennent, à seule fin de montrer l'inadéquation des textes.
 
En fait les choses se présentent différemment : ce à quoi la non-assistance à personne en danger oblige c'est à une intervention appropriée. La loi ne précise pas ce qu'est un danger, et ce qu'est une intervention appropriée. On ne connaît pas de texte prescrivant que tout soit mis en oeuvre pour prolonger le plus possible la durée de l'activité cardiaque... C'est la jurisprudence, et non la loi, qui a longtemps permis d'assimiler le devoir d'assistance et la prolongation inconsidérée de l'existence. En d'autres termes, la loi prescrit de secourir son semblable. Elle dit que le sujet déprimé qui tente de mettre fin à ses jours doit en être empêché. Elle se garde bien de dire que tout sujet qui tente de mettre fin à ses jours est un déprimé qui doit être secouru (mais le médecin, lui, ne peut guère agir autrement : s'il le fait, il se condamne vite à ne plus pouvoir aider les déprimés) ; elle se garde bien de dire que le seul danger est le danger de mort.
 
Bref il est absurde de tirer du texte sur la non-assistance à personne en danger la notion que le médecin est condamné à maintenir les gens en vie. Il y a place dans la loi pour le respect de la volonté d'autrui et la prise en compte de la qualité de sa vie.
 
Actuellement il est toujours possible d'assurer le confort en fin de vie. Cela demande d'utiliser des doses adéquates des médicaments adéquats. Le problème est que, même si les drogues utilisées sont assez peu toxiques (c'est notamment le cas de la morphine ou des sédatifs), on peut être amené à utiliser des doses ou des procédés dont la sécurité n'est pas absolue : le sommeil induit est une anesthésie générale, et on ne sait pas comment le malade réagira à la première dose. Quoi qu'on en dise la morphine aggrave tout de même l'état respiratoire des insuffisants respiratoires, surtout s'ils sont encombrés. Il en résulte que l'utilisation de ces procédés peut être dangereuse, voire entraîner la mort. Il arrive même que le risque de tuer le malade en les utilisant soit tellement grand que c'est presque une certitude. Mais même dans ce cas il ne s'agit pas d'euthanasie : le médecin qui prend ce risque, parfois énorme, a l'intention de soulager le malade, non de le tuer ; même il s'appliquera à prescrire avec une grande rigueur, de manière à minimiser le risque, et il surveillera plus étroitement encore le malade. Il faut noter à ce sujet que l'un des textes les plus anciens dont on dispose sur ce point est celui de Pie XII en 1958, qui déclare que la douleur des mourants doit être calmée même au prix d'un raccourcissement de la vie.
 

 
LE DOMAINE CONCEPTUEL DE L'EUTHANASIE :
 
Il est usuel de dire que morale et éthique désignent la même chose : le Littré définit l'éthique comme " la science de la morale " ; l'étymologie identifie ces deux notions, et C'est vrai, notamment au plan étymologique : le latin appelle morale ce que le grec appelle éthique.
 
Cependant cette étymologie même montre l'ambiguïté du concept.
 
Car en français, le mot " mÏurs ", qui désigne la manière dont les gens se comportent, a la même origine que le mot " morale ", qui désigne la manière dont les gens devraient se comporter. Cette relation provient du latin, ou mores désigne les us et moralia les choses de la morale. En grec les choses sont pires puisque eqoV désigne la coutume et hqoV désigne la vertu (d'où en français " éthologie " et " éthique "). La belle unité du concept d'éthique se fendille ainsi dangereusement, et ceci invite à réfléchir sur l'usage qui peut être fait des mots dont nous disposons.
 
La notion d'éthique peut être comprise à partir d'une réflexion sur un thème comme le racisme.
 
Il convient d'admettre en effet que nous n'avons à opposer aux thèses racistes aucun argument sérieux. La position officielle (Ruffié, Jacquard, MonodÉ) est qu' " il n'y a pas de races dans l'espèce humaine ". Or ceci correspond à un triple non-sens.
 
Non-sens philosophique : " il n'y a pas de races dans l'espèce humaine ". Il n'y a pas de races du tout, et dans aucune espèce animale. La notion de race ne correspond pas le moins du monde à un objet concret, c'est une simple catégorie fabriquée par les hommes en vue de faciliter le classement des animaux. Autant dire que je suis libre de créer des races comme il me convient.
 
Non-sens scientifique : la démarche du zoologiste est de classer les animaux en fonction de critères de ressemblance le long d'une arborescence qui comporte les ordres, les embranchements, les classes, les groupes, les familles, les genres, les espèces, etc. Ainsi le requin-marteau est un requin, donc un sélacien, donc un poisson, donc un vertébré, donc un animal. Ce classement est pertinent, ce qui signifie que le fait de classer correctement un animal permet d'en déduire des caractéristiques. Ainsi le fait d'observer une colonne vertébrale fait classer l'animal parmi les vertébrés ; on peut alors affirmer que cet animal a deux yeux, et qu'ils ne sont pas à facettes. De la même manière dans les animaux il y a les vertébrés, dans les vertébrés les mammifères, dans les mammifères les primates, dans les primates homo sapiens.
 
Il n'existe aucune raison de ne pas continuer : peut-on définir dans l'espèce homo sapiens des clivages pertinents ? Cela reste à voir. Mais tous les éleveurs savent que parmi les vaches il y a la frisonne, qui est noire et blanche, la charolaise, qui est blanche, et la blonde d'Aquitaine, qui est ocre. De même chez l'homme il y a les Blancs, les Noirs et les Jaunes. Ce classement est-il pertinent ? Cela reste à voir. Mais tous les éleveurs savent que la frisonne est meilleure laitière, la charolaise meilleure pour la viande et la blonde d'Aquitaine polyvalente. De même il semble bien que les Noirs courent plus vite que les Blancs, et que les Blancs nagent plus vite que les Noirs. Ce peut être là un simple facteur culturel, mais outre que le déni de la différence relève largement de la pétition de principe, on ne voit guère où serait le scandale si on reconnaissait de telles différences. Allons plus loin : on ne saisit pas davantage au nom de quoi on refuserait d'envisager des différences intellectuelles.
 
Ce qui fait le racisme, ce n'est pas la notion de race mais le fait d'affirmer que certaines races sont inférieures.
 
Bref nous n'avons aucun argument scientifique à opposer à ces gens-là. Et ceci conduit au non-sens stratégique : car il faut accepter d'en arriver au complet dénuement intellectuel pour pouvoir découvrir le seul argument qui vaille face aux racistes. Cet argument est éthique, et il est éthique parce qu'il n'est pas scientifique : il s'agit d'une libre décision de ma volonté : l'homme est un animal qui s'abstient de créer des catégories au sein de sa propre espèce. La seule réponse aux thèses racistes, c'est la fraternité humaine.
 
Dire cela, c'est formuler un propos qui a la structure d'une définition : l'homme est un animal quiÉ Il importe de réfléchir sur ce point : car à l'homme appartient le privilège de faire venir les objets à l'être en les nommant. Rien n'existe autour de moi, qu'une bouillie moléculaire au sein de laquelle, par une libre décision de ma pensée, j'isole un amas moléculaire particulier que je nomme " moi ", et que je distingue d'un autre amas moléculaire que je nomme " la chaise ", lesquels baignent dans un amas moléculaire que je nomme " l'air ". Alors seulement les choses se mettent à exister. De même les chevaux n'existent pas. Ce qui s'est produit c'est que je me suis promené dans la prairie et que j'ai observé des animaux qui se ressemblaient ; j'ai donc décidé de leur donner un nom en commun, et depuis lorsque je vois un animal qui ressemble à ceux que j'ai ainsi dénommés, je dis : " c'est un cheval ".
 
Notons à ce sujet :
 
Que la Bible ne déclare pas autre chose : Dieu créa les animaux, puis il les amena devant l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait.
 
Que ce qui précède tranche en quelques phrases le débat central de la philosophie. On croit savoir que les choses sont un peu plus compliquées.
 
Bref, l'homme apparaît comme l'animal qui définit. Il est ainsi amené à se définir lui-même. On peut alors penser l'éthique comme la discipline par laquelle l'homme en devenir au sein du monde se donne à lui-même l'être en disant ce qu'il est. Toutes les propositions de l'éthique sont de la forme : " L'homme est un animal quiÉ ".
 
Cette définition de l'éthique n'annule pas les autres. Elle ne prétend pas davantage être la seule recevable, ou avoir raison contre d'autres visions du problème. Elle indique simplement une autre manière d'agencer les propositions. Toute la question est de savoir si cette manière de faire est plus performante que les définitions usuelles. Et si a contrario elle pose des problèmes plus difficiles.
 
Or il ne faut pas se cacher qu'elle en pose : par exemple, que serait une éthique chrétienne ? Ce qu'en effet la Bible dit, c'est que si l'homme est l'animal à qui échoit de définir les autres , il ne lui appartient pas de se définir lui-même : l'homme est l'animal qui peut manger de tous les arbres du jardin, sauf de celui de la connaissance du bien et du mal, ce qui suggère que le champ de l'éthique, précisément, lui est interdit ; la base éthique de la définition de l'homme est du domaine divin. Ceci pose incontestablement problème au regard de la définition de l'éthique ci-dessus proposée ; il n'est pas sûr que cette difficulté soit insurmontable.
 
La constatation d'une similitude étymologique entre éthique et morale ne saurait nous lier, car l'étymologie ne suffit pas à tout décider dans une langue : les mots ne sont que des outils, et une des conditions de la pensée droite est que des notions distinctes soient nommées par des mots distincts, et qu'inversement des mots distincts nomment toujours des notions distinctes . Or, s'agissant de la morale et de l'éthique, il demeure qu'en français nous avons deux mots, et qu'au plan des concepts il y a bel et bien deux choses distinctes. Ne serait-il donc pas possible d'affecter chacun des uns à chacune des autres ?
 
L'homme reconnaît le plus souvent qu'il n'est pas autorisé à faire tout ce qu'il veut. Il existe un certain nombre de choses qu'il s'interdit ou s'impose. Parmi celles-ci, la plupart sont interdites ou obligatoires en raison d'un dommage qui pourrait en résulter pour autrui. Mais il existe un petit groupe d'actions que l'homme s'interdit ou s'impose alors qu'on ne voit guère quel tort cela pourrait causer à un autre. Ce que nous proposons, c'est de dire que les premières sont dans le champ de la morale, et les secondes dans le champ de l'éthique.
 
Supposons par exemple que mon ami me demande de porter ce bijou à cette dame. Je prends le bijou et la garde pour moi. J'ai fait du tort à la dame, qui n'a pas reçu le bijou ; j'ai fait du tort à mon ami, qui saura que la dame n'a pas reçu son cadeau. Il est facile de voir que j'ai mal agi.
 
Supposons maintenant que mon ami me demande de jeter ce bijou à la mer. Je prends le bijou et la garde pour moi. Incontestablement mon action est mauvaise et pourtant mon ami n'a subi aucun dommage .
 
On pourrait dire (philosophiquement les choses sont moins simplistes, mais cette distinction a une énorme valeur pratique) que la morale concerne ma relation à l'autre, alors que l'éthique concerne ma relation à moi. Naturellement toute position morale repose sur une position éthique : si je ne vole pas (morale), c'est parce que je ne suis pas quelqu'un qui vole (éthique) ; mais l'inverse n'est pas vrai : il existe des positions éthiques qui n'ont aucune conséquence morale.
 
Par exemple, la peine de mort n'est pas un problème moral : rien ne s'oppose en morale à ce que la vie d'un homme soit réclamée pour prix de sa faute. La question est purement éthique : L'homme est-il un animal qui peut désespérer de son semblable au point de lui prendre sa vie ?
 
Il est des domaines où cette distinction entre éthique et morale prend une importance capitale : c'est notamment le cas de la bioéthique. On peut même aller plus loin : si la bioéthique apparaît si souvent dans l'impasse, c'est peut-être parce qu'elle méconnaît cette différence fondamentale.
 
Ainsi la question des mères porteuses ne pose aucun problème de morale. Soit une femme qui veut un enfant et ne peut en avoir, et qui rencontre une femme qui peut avoir un enfant et n'en veut pas ; elles se mettent d'accord et, moyennant un dédommagement, la femme qui peut avoir un enfant le portera pour le remettre à sa naissance à celle qui en veut un. Il s'agit d'un contrat passé librement entre deux personnes dans un but louable ; la morale n'a rien à redire . Sur le plan éthique par contre les problèmes se posent très rapidement : entre autres, que signifie le fait de payer pour un enfant ?
 
Dès que la discussion éthique paraît aboutir à des résultats pratiques, il faut se montrer particulièrement prudent.
 
Ainsi les manipulations génétiques sur l'humain font l'objet de restrictions sévères. Le motif habituellement invoqué est le risque écologique. Mais il va de soi que ce qui est utilisé ici s'appelle alors le principe de précaution, qui n'a que peu à voir avec l'éthique. La question réellement posée est de savoir si l'humain en tant qu'humain est défini par son patrimoine génétique d'une manière telle qu'il ne puisse y avoir accès. Cela pose la question éthique de manière radicale et inconfortable, puisqu'on ne voit plus guère dès lors comment justifier les manipulations à but thérapeutique.
 
De même il est interdit d'indemniser le don d'organes. La raison invoquée est ici le risque de dérapage. Ce risque est réel, et on sait quels abus sont commis dans ce domaine. Mais cette raison relève de la morale, et non de l'éthique. Une bonne manière de poser cette question en éthique est de demander si l'homme a le droit de disposer de son corps au point de pouvoir le vendre.
 
Même si la brièveté de ce texte interdit d'aller trop loin dans cette voie, on ne prend guère de risques en affirmant qu'une des principales caractéristiques de l'éthique est qu'elle ne sert à rien.
 
Quelle pourrait être alors la visée éthique ? On peut essayer de s'en faire une idée en réfléchissant sur des questions qui, peut-être, ne sont pas exactement éthiques mais qui posent tout de même des problèmes agaçants.
 
C'est le cas de l'échographie obstétricale. On ne voit guère pourtant ce qu'on pourrait objecter à cette pratique. Ceci cependant : l'échographie obstétricale permet de voir l'enfant avant l'accouchement. Depuis qu'on la pratique, il est devenu commun de parler à l'enfant, de le soigner, de l'opérer. Mais le fait d'établir avec cet enfant une relation (concrète autant que symbolique) aussi forte aboutit à une difficulté : comment peut-on désormais définir la naissance ? Jusqu'alors l'enfant naissait en sortant du ventre de sa mère ; peut-on dire de nos jours qu'il n'est pas né, cet enfant à qui l'on parle ? On sait d'ailleurs qu'il existe des civilisations où l'enfant n'est réellement né que lorsqu'on lui a donné son nom ; or nos jeunes couples modernes nomment l'enfant dès qu'ils en connaissent le sexe É Mais dans la mesure même où on touche à la définition de la naissance, on touche, peu gravement peut-être mais réellement, à la définition de l'humain.
 
De la même manière, on sait que la ménopause est maintenant considérée à juste titre comme une source majeure d'infirmités (aggravation du risque cardio-vasculaire, fracture du col du fémur). Il est donc devenu évident que la ménopause doit être traitée. La question qui est posée aux médecins est de savoir combien de temps on doit traiter la ménopause ; et l'accord se fait sur 5 à 7 ans. Mais quelle est la justification de cette durée ? Rien, biologiquement, ne s'oppose à l'idée de traiter indéfiniment. Mais faisant cela on ralentit l'essentiel du processus de vieillissement chez la femme, qui voit en quelque sorte sa jeunesse se prolonger. Ce qui gêne ici, c'est peut-être le vertige qui prend à l'idée que les hommes auraient inventé l'eau de jouvence, et surtout que seules les femmes en profiteraient. : jusqu'alors les femmes vieillissaient plus vite que les hommes. C'est maintenant l'inverse, tant il est vrai que les vieillissement est d'abord vieillissement du pouvoir de séduction. Ce qui se trouve ainsi bouleversé c'est le rapport de l'homme à la femme, et dans cette toute petite mesure on touche encore à la définition de l'humain.
 

 
On voit ainsi ce que peut être la visée éthique : la question que se pose l'éthique est celle-ci : à quelles conditions puis-je me considérer comme un humain au moment où je me prépare à entrer en relation avec l'autre ? Et on voit du même coup l'erreur la plus fréquemment commise quand on prétend parler d'éthique : l'éthique ne vise pas ce que je pense de l'autre, mais ce que je pense de moi.
 
Si l'on consent à ce renversement, alors bien des difficultés s'évanouissent. La question de l'euthanasie par exemple peut être abordée d'une manière totalement différente.
 
Il arrive souvent au cours des discussions sur l'euthanasie que l'un des intervenants rapporte le cas de tel ou tel patient qui a posé une demande d'euthanasie en pleine lucidité, en pleine sérénité. Dans ces conditions le groupe répond habituellement de deux manières : soit en estimant qu'il ne s'agissait pas réellement d'une demande d'euthanasie, soit en faisant observer que le malade était certainement bien plus en souffrance qu'il n'y paraissait.
 
On a évidemment raison de parler ainsi, et devant une demande d'euthanasie le devoir du soignant est de s'acharner à rechercher les signes de souffrance méconnus, et à décrypter la demande réelle du malade. Mais il faut remarquer que les réponses qui sont ainsi faites sont les réponses qui nous arrangent, celles qui permettent de maintenir à peu de frais le tabou de l'euthanasie.
 
Le véritable courage est de reconnaître qu'il existe, même si c'est très rare, des demandes d'euthanasie légitimes, justifiées, recevables . Dire autre chose, c'est s'interdire d'entendre le malade, c'est s'ériger en juge de ce qu'il pense réellement, ou de ce qu'il a le droit de vouloir. Il fait s'acharner à écouter le malade, à condition toutefois que le projet ne soit pas de l'écouter jusqu'à ce qu'il nous ait dit ce que nous voulions entendreÉ
 
Il y a donc des demandes d'euthanasie recevables. Du point de vue de la morale, la chose ne fait aucune difficulté, et rien ne s'oppose à ce qu'on accède au désir de quelqu'un s'il veut voir ses jours abrégés. Le seul problème est d'ordre éthique : l'homme est un animal qui ne tue pas son semblable. L'euthanasie est interdite, non pas parce que sa demande est illégitime, mais parce que sa réalisation l'est. Quiconque admet en éthique l'euthanasie admet du même coup que l'homme peut désespérer de son semblable au point de lui prendre sa vie, ce qui légitime la peine de mort.
 
Depuis quelques dizaines d'années l'éthique fait l'objet d'un débat. Il y a en gros deux manières de considérer le problème.
 
Il y a tout d'abord ce qu'on peut appeler la conception classique de l'éthique, celle qu'on pratique en France et en Allemagne : Elle se fonde sur l'idée qu'il y a des principes, et que l'éthique obéit à des règles. C'est dans cette perspective qu'ont écrit Aristote, Descartes, ou Spinoza ; mais c'est surtout à Kant qu'on fait référence. Il s'agit de définir ce que l'homme a le droit de faire et ce qui lui est interdit. La conséquence de cette position est que lorsque l'éthique se charge d'un problème elle a pour objectif de l'examiner et de tâcher d'en dégager les fondements rationnels, au moyen d'un raisonnement philosophique rigoureux. Cette fondation en raison aboutit à une vision claire des situations, avec l'inconvénient de parvenir éventuellement à la conclusion que le problème n'a pas de solution. C'est l'éthique qui pose des questions.
 
Mais il existe une autre manière de prendre le problème ; c'est celle qui se développe dans les pays anglo-saxons ; ici les référents sont Hobbes et Locke. Dans cette manière de voir on dit qu'il n'y a pas de principes. Ce qui est bon pour l'homme est éthiquement acceptable. On peut alors envisager une éthique du moindre mal. La conséquence est que lorsqu'elle se charge d'un problème elle a pour objectif de trouver coûte que coûte une solution, qui ne peut être alors que la moins mauvaise possible, avec l'inconvénient d'être souvent très mal assurée en raison. C'est l'éthique qui donne des réponses.
 
Par exemple comment aborder la question de l'avortement thérapeutique ? Que se passe-t-il dans le cas d'un fÏtus atteint d'une malformation incompatible avec la vie : faut-il imposer à mère de mener à son terme une grossesse dépourvue de sens ?
 
L'éthique classique fait observer que s'il est douteux que la vie humaine commence dès la conception, il demeure en revanche certain qu'un fÏtus de cinq mois est un être humain. Il n'y a donc pas de solution, car il est difficile de laisser la mère en détresse, et on ne voit pas qu'il soit possible de tuer un être humain. L'issue est alors de dire, ce qui tout de même laisse un peu insatisfait, que la maternité est un risque et que l'homme n'est homme que pour autant qu'il assume ces risques.
 
L'éthique anglo-saxonne n'a pas ces hésitations : le fÏtus est un être humain, certes, mais il y a des degrés dans les niveaux d'humanité : elle rappellera que la souffrance est une notion largement culturelle, ce qui fait que la mère est plus susceptible de souffrir que le fÏtus. Dans ces conditions le moindre mal est de tuer le fÏtus. Naturellement on voit tout de suite l'énorme danger qu'il y a à entrer dans cette voie : que signifie la notion de " niveaux d'humanité " ? Comment en fixe-t-on les limites ? N'y a-t-il donc pas des niveaux d'humanité chez les personnes âgées, et le dément n'est-il pas tout de même moins humain que le non-dément ? N'aurait-on pas raison alors de dire que le moindre mal est d'orienter les dépenses de santé vers la prise en charge des non-déments ?
 
Les tenants de l'éthique anglo-saxonne ne manquent certes pas de dire que tout de même ils ont du bon sens, et qu'ils savent se garder de ces excès. Mais outre qu'ils ne s'en gardent pas si bien que cela (comme en témoigne par exemple le débat sur l'opportunité de commercialiser le génome), il ne faut pas oublier que si l'éthique est nécessaire, c'est précisément parce que le bon sens ne suffit pas.
 
Cette distinction entre deux formes d'éthique est une très ancienne histoire : il est facile de la faire remonter aux débuts de la pensée grecque.
 
Les hommes de cette époque prenaient conscience avec étonnement de ce qu'il y avait un monde autour d'eux, et qu'on pouvait le connaître. Mais je connais le monde grâce à mon cerveau, et je le décris grâce à des mots. Par exemple si je vois cette feuille de papier c'est qu'elle existe ; mais en fait ce n'est pas si sûr : car il faut s'entendre sur ce que je vois.
 
ß Je vois une feuille de papier, c'est-à-dire un fragment d'une matière faite avec la pâte à bois procurée par un arbre.
 
ß Je vois une feuille de papier, c'est-à-dire un objet que je peux utiliser pour écrire.
 
ß D'ailleurs il n'y a pas de feuille de papier : ce qu'il y a c'est un simple amas de molécules ; et c'est par un effort de ma pensée que j'isole un amas particulier que j'appelle l'air, un autre amas que j'appelle ma main, et un troisième que j'appelle la feuille de papier.
 
Ce débat peut sembler oiseux, il ne l'est pas, car c'est précisément cela qui arrive au dément : si l'objet qu'il voit est simplement un cylindre gris plus large que haut avec une partie horizontale plus étroite, il y a peu de chance pour qu'il arrive à se servir d'une casserole. Ce dont nous savons nous servir, ce n'est pas d'un cylindre gris plus large que haut avec une partie horizontale plus étroite, mais d'une casserole. C'est parce que nous nommons les choses qu'elles deviennent des objets. La fonction du langage est une fonction d'appropriation, d'humanisation, c'est la parole qui nous rend maîtres du monde. On croise ici sans doute la notion heideggerienne d'util.
 
La question est en bref de savoir si ce que je perçois existe en soi, ou si c'est un simple perception.
 
Et au départ les hommes pensent que c'est la deuxième position qui est la vraie :
 
ß Héraclite dit : " Nul ne peut se baigner deux fois dans le même fleuve " ; tout change, le réel est instable, et s'il est instable on ne peut le connaître.
 
ß Parménide, qu'on lui oppose souvent, dit cependant : " Car même chose sont et le penser et l'être " ; si je pense quelque chose cela existe et si je ne le pense pas cela n'existe pas.
 
ß Protagoras déclare : " L'homme est la mesure de toute chose ", ce qui revient à dire qu'il n'y a pas de principes, et que rien n'existe sinon ce que l'homme peut décider.
 
C'est Socrate qui fera évoluer le esprits en soutenant qu'il y a un réel en soi. Ainsi il dit par exemple que je sais reconnaître un lit. Mais si je sais le reconnaître, c'est parce qu'il y a beaucoup de lits, qu'il existe une notion de lit. Cette notion, Socrate l'appelle l'" idée " de lit, et il pose que cette idée existe en soi, et que nous l'avons connue dans une vie antérieure, etc. Ainsi donc Socrate pose qu'il y a des principes ; l'homme n'est pas la mesure de toute chose, le réel s'impose à lui, et il doit des comptes.
 
On méconnaît souvent que le grand combat de Platon se livre contre les sophistes. Mais quel était l'enjeu ? Les sophistes partaient du principe que puisqu'il n'y a pas de réalité on peut jouer avec les mots et s'en servir comme d'outils. Platon pensait, lui, que les mots sont le reflet sacré d'une réalité. A noter que le débat en fait était politique : Athènes avait perdu son pouvoir dans la terrible guerre du Péloponnèse, et il s'agissait de recréer ses institutions ; Platon penchait pour l'aristocratie, les sophistes pour la démocratie ; c'est un combat droite-gauche, un combat entre Michel Foucault et Raymond Aron, (et Platon, notre Platon se révèle un penseur de droite). Ce combat traversera toute la philosophie, jusqu'à Heidegger, et nous n'en sommes pas sortis, loin de là, d'autant que l'enjeu est immense : il y va de notre capacité à connaître.
 
Bref, pour ce qui nous concerne, que peut-on dire ?
 
Certes, il n'est pas possible de se borner à une éthique rationaliste de type kantien : elle est trop souvent prise en flagrant délit d'impuissance, et on a vu que les conclusions qui se tirent alors sont souvent très dures ; c'est un discours réactionnaire. D'un autre côté on ne peut accepter l'éthique empiriste avec les monstrueuses dérives qu'elle provoque déjà : le stalinisme en est un exemple suffisant. Ce que je crois c'est d'une part que le plus urgent pour notre civilisation est sans doute de retrouver un peu de rigueur intellectuelle ; d'autre part qu'il convient d'imaginer un mouvement de va-et-vient : certes il y a une éthique qui pose des questions et une éthique qui donne des réponses, mais si l'on veut à tout prix trouver les bonnes réponses il vaudrait mieux commencer par poser les bonnes questions, de sorte qu'une analyse éthique complète ne peut faire l'économie d'une fondation en raison, quitte à redescendre des cimes où elle se sera hissée pour en tant que de besoin mettre les mains dans le cambouis. On doit d'abord dégager les principes. Ensuite il faut sans doute, dans une seconde étape, décider concrètement ce qu'on veut faire, et s'il le faut on choisira de violer les principes. Mais une précaution indispensable est de pouvoir dire à chaque fois quels principes on a violés, et pourquoi on l'a fait.
 

 
On a vu que l'euthanasie n'est pas du domaine de la loi. Elle n'est pas non plus du domaine de la morale : il s'agit d'un acte compassionnel, effectué dans le but de venir en aide à autrui sans aucun bénéfice personnel ; de même l'exercice du droit au suicide ne lèse personne d'autre que le suicidant. Les questions posées sont donc d'ordre éthique : elles sont de la forme : l'homme est-il quelqu'un quiÉ ? Et il y a au moins deux manières de dire la question posée. D'abord, l'homme est-il quelqu'un qui tue un autre homme ? Ensuite, que signifie le fait de dire qu'une vie n'est plus bonne qu'à être supprimée ? Ce qui revient à demander : l'homme considère-t-il la vie comme un absolu ?

Dr Michel Cavey,gériatrie,soins palliatifs..


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*****SUITE*****
LA QUESTION DE LA DIGNITE :



Le droit de mourir dans la dignité apparaît inaliénable. L'un des points les plus tristement comiques dans cette affaire est qu'autour de la notion de dignité les tenants de l'euthanasie et les militants des soins palliatifs font surenchère de zèle et assaut d'amabilités. Alors qu'en fait le malentendu est massif : on a oublié de dire ce qu'est la dignité. Il faut dire que la chose n'est pas simple, à en juger par cet article de l'European Journal of Palliative Care où un auteur s'essaye à définir la dignité et ne peut parler que de pudeur, de décence, de respect, toutes choses qui certes ont à voir avec la dignité mais n'en sont pas pour autant des synonymes.

Mais la question de la dignité demande à être clarifiée. Reprenons donc la discussion sur ce point : il est probable en effet que sous ce terme on entend des notions très différentes.

Un point tout d'abord, qui va renvoyer à la problématique précédente et au combat entre Platon et les sophistes. Il est fréquent d'entendre dire : " Vous avez votre conception de la dignité, j'ai la mienne, vous ne pouvez pas m'imposer la vôtre ". Cette manière de voir est totalement fausse.

Il y a des mots, et il y a des choses. Les mots servent à désigner des choses. La première nécessité pour se parler, c'est de vérifier que les mots servent à désigner la même chose pour tout le monde. Dès lors il y a deux positions :

ß Soit on dit : le mot " dignité " existe, et chacun a le droit d'y mettre ce qu'il veut : c'est le mot qui crée la chose. Il faut donc accepter que les avis sur la dignité soient divergents : c'est la position des sophistes.

ß Soit on dit : la dignité est une notion qui existe. Avant d'en parler il faut se mettre d'accord sur ce qu'on entend par là, et s'il s'avère que sous le nom de dignité on regroupe des notions différentes, alors il faudra trouver un nom pour chaque notion : le mot est au service de la chose. C'est la position des platoniciens.

Or il est probable que sur ce point c'est Platon qui a raison : si on ne se met pas d'accord sur les mots, on a peu de chance de pouvoir se parler.

Il faut donc essayer d'analyser le concept de dignité. Et on observe que deux opinions s'affrontent : pour l'une la dignité est une valeur inaliénable de tout être humain ; pour l'autre il s'agit d'une notion subjective, dont la personne même est seule juge. On retrouve ici, soit dit en passant, notre vieux clivage : les platoniciens diront que la dignité est une valeur absolue, transcendante, dont l'homme n'a pas la maîtrise, les sophistes penseront au contraire que c'est moi qui juge de ma dignité.

Rappelons tout d'abord que le mot tire son origine du latin. La dignitas est une notion juridique : il s'agissait d'un titre honorifique qu'on attribuait à certaines personnalités. Le fait de recevoir la dignitas impliquait que les autres modifient leur comportement : on se levait devant le chevalier, on ne parlait pas avant le sénateur, etc. En d'autres termes l'attribution de la digintas avait avant tout des effets visibles. C'est cette notion qu'on retrouve dans des formulations comme : " Il a été élevé à la dignité de commandeur de la Légion d'Honneur ". C'est également cette notion qui permet de dire : il a reçu un cadeau digne de lui ; ou même : je n'ai pas de traitement digne de ce nom. A noter que dans ce contexte la notion de dignité croise celle de bien : un traitement digne de ce nom est un traitement qui correspond à ce qu'il est bon de faire ; le latin d'église connaissait la formule dignum et justum est : cela est bon et juste.

Ce qui importe ici c'est le caractère visible de la dignitas. En elle-même, la dignitas ne produit rien ; par contre elle déclenche une attitude particulière de l'entourage, et cette attitude se dit re-spicere : regarder de manière positive et aimante (quia respexit humilitatem ancillae suaeÉ) ; re-spicere donne respect, le respect que méritent les personnes respectables ; autrement dit il s'agit de cette considération distinguée dont on nous assure à la fin des courriers ; ou la considération dont on entoure les personnages considérables. La dignitas, c'est la médaille : la fonction de la médaille est de signaler au public que celui qui l'arbore doit être traité avec des égards particuliers. Bref, la dignité ne vaut que par la modification qu'elle déclenche dans le regard de l'autre, et cette modification s'appelle le respect. Ce qui est important dans la dignité, ce n'est pas la dignité mais le respect. Il s'ensuit naturellement que ceux qui ne sont pas revêtus de la dignitas n'ont pas à être respectés.

C'est le christianisme qui vient modifier la donne. Et il le fait de manière proprement révolutionnaire : Ce qu'il dit, c'est que la dignitas n'est pas conférée par un pouvoir terrestre, mais que c'est Dieu qui en est maître. Et que Dieu accorde la dignitas à tout humain, du fait même qu'il est humain. Cela signifie simplement que toute personne humaine a droit au respect, c'est-à-dire à ce regard de considération que réclame la dignitas.

Dans ces conditions, comment peut-on entendre les propos différents qui se tiennent au sujet de la dignité ?

Ceux qui parlent de la dignité comme d'un caractère immanent à l'homme sont dans la position chrétienne. Ce qui importe c'est le regard de l'autre.

D'autres, c'est le cas des tenants des soins palliatifs, font valoir au fond que la question de la dignité n'a pas à être posée : il n'existe aucune situation où le sujet n'appelle pas un regard de respect.

Sans qu'ils s'en rendent compte, ceux pour qui la dignité est laissée à l'appréciation du sujet disent la même chose : que signifie en effet " mourir dans la dignité " ? Il s'agit très exactement de garder la possibilité de se conduire de manière à susciter dans le regard de l'autre la même considération que si on était revêtu de la dignitas (au demeurant les épithètes sont bien ici " noble ", " impérial ", " hiératique ", etc.). On voit ici que le lieu du jugement est bien ce fameux regard de l'autre : ce que revendiquent les tenants de l'euthanasie, c'est le droit de dire ce qui est digne à leurs yeux. Or la pierre de touche n'est pas la dignité mais le respect ; comment fera-t-on pour régenter le regard de l'autre ?

A leur insu, ce qu'ils disent fonctionne différemment : ils disent que s'ils étaient spectateurs de leur situation ce qu'ils verraient ne les conduirait pas à poser sur eux un regard de respect. Ce dont ils parlent c'est de la crainte de la déchéance (et juridiquement on peut bel et bien être déchu d'une dignitas). Ils disent que certaines situations interdisent de recevoir la dignitas. Ainsi ils méconnaissent que la question de la dignité est totalement étrangère à cette problématique : la dignité n'est que ce qui oriente le regard d'un autre. Et l'on sait bien d'ailleurs que les situations qui terrorisent les tenants de l'euthanasie renvoient surtout à des fantasmes de décomposition ou de régression intellectuelle qui n'ont rien à voir avec la dignité et qui d'ailleurs ne les empêcheraient nullement de regarder avec respect l'autre qui en serait victime. Il suffit de demander si à leurs yeux il est possible qu'un homme tombe dans une situation où il ne mériterait pas d'être regardé avec respect.

Et ce qui suit n'est pas facile à exposer, encore moins à admettre. On peut approcher la question au moyen d'une expérience, que chacun a déjà faite, mais qui a toute chance d'être fondatrice pour la conscience humaine.

Supposons que je me mette à parler ; comme je parle l'autre entend ma voix. Moi aussi j'entends ma voix ; et pourtant, je n'entends pas la même chose que lui. Lui, il entend les vibrations qui sont transmises par l'air à partir de mes cordes vocales. Moi j'entends cela aussi, bien sûr ! mais en plus j'entends les vibrations qui sont transmises par mes cordes vocales à travers ma tête. Cela fait que le timbre de la voix que j'entends n'est pas celui que l'autre entend. C'est ce qui explique que quand j'entends une conversation au magnétophone je reconnais instantanément sa voix, mais que je ne reconnais pas la mienne, et que quand je la reconnais je ne l'aime pas. A lors on dit : c'est le magnétophone qui marche mal ; mais c'est faux : sa voix à lui n'est pas déformée, c'est seulement la mienne! et ma voix au vrai n'est pas déformée : simplement je n'ai pas l'habitude de l'entendre. L'autre entend ma voix alors que moi je ne l'entends pas.

De la même façon, je ne vois jamais mon visage. Le miroir ne me renvoie qu'une image symétrique, et ce n'est pas la même. C'est ce qui fait que sur la photographie je reconnais instantanément le visage de l'autre, mais que le mien a toujours à mes propres yeux quelque chose d'étranger.

On pourrais multiplier les exemples ; peu importe.

Ceci n'est d'ailleurs pas seulement négatif : c'est ce qui fait que j'ai une identité. Tout l'univers en effet est accessible à mes yeux; pour les étoiles il y faut le télescope, pour les microbes le microscope, mais enfin, au moins symboliquement, je peux tout voir. Tout sauf une petite partie : moi. Moi, par définition, c'est le point aveugle, c'est cette partie de l'univers qui me sera à tout jamais inaccessible parce que, quoi que je fasse, elle sera toujours derrière mes yeux. De ce point de vue (de ce seul point de vue, naturellement !) je suis, et je ne suis, que ce qui pour moi ne peut faire l'objet d'aucune connaissance : je ne connais que l'autre, et seul l'autre me connaît.

Il s'ensuit un certain nombre d'évidences qu'il faut cependant méditer. Par exemple la manière dont je me coiffe n'a pour moi aucun intérêt : je ne vois pas mes propres cheveux. Si je me coiffe, c'est en raison de l'autre : ce qui m'intéresse c'est le regard de l'autre et ce que je vais lire dedans. Les soins de l'apparence extérieure en général n'ont de raison d'être que dans la mesure où l'autre les voit. Autrement dit, je ne me coiffe que pour plaire. Il en est qui prétendent se coiffer ou s'habiller simplement parce que cela leur plaît, et qu'ils n'ont que faire du regard de l'autre. Mais c'est évidemment faux, le look qu'ils se sont choisi est de toute manière fait pour être vu, même si ce qui doit être vu n'est que le désir de braver le regard de l'autre.

C'est seulement de cette manière qu'on peut aborder la question de la dignité. La dignité n'est pas une valeur en soi, c'est au contraire toujours une fonction du regard de l'autre. On n'est pas digne : on est digne de quelque chose, ou on est digne dans son comportement devant les autres. Cela signifie que c'est toujours l'autre qui est juge de ma propre dignité. L'être se donne au monde par cette partie de lui qui échappe, précisément, à sa propre connaissance, ce qui fait qu'il ne peut savoir et encore moins juger de ce qu'il est pour l'autre.

Ainsi le mot de dignité n'a aucun sens en dehors d'une relation. Qu'en serait-il, au demeurant, de la dignité d'un homme seul, d'un homme que personne ne verrait ? Peut-on penser la dignité en dehors d'un regard ? Qui est seul n'a par définition de comptes à rendre à personne, et s'il se prend à se poser la question de sa dignité c'est toujours sous la forme : " Et si quelqu'un me voyait ? ". Cela ne veut pas dire que je ne peux absolument pas en juger pour moi-même : les humains s'accordent sur une conception de la dignité, et je sais à quelles conditions l'autre est digne ou ne l'est pas. Mais quand j'extrapole de la dignité que j'accorde à l'autre à celle que je m'accorde à moi-même, je prends un risque : il demeure qu'en son fond la question de ma dignité est du ressort de celui qui me regarde. J'ai donc le droit de mourir dans la dignité, mais je ne suis pas libre de dire ce qu'est ma dignité. Il est surprenant de constater que la revendication de l'euthanasie naît dans des milieux socialisants, qui affirment haut et fort leur attachement à la solidarité. Or on vient de démontrer que cette conception aberrante de la dignité repose sur un déni du lien social, seul habilité à dire ce qui est digne.



LE DROIT AU SUICIDE :

Le droit au suicide paraît incontestable, d'autant plus que celui qui met fin à ses jours ne lèse personne.

L'idée de base du droit au suicide est que chacun est maître de sa propre vie. Quoi de plus naturel ? Et il est possible que disant cela on ait raison. Toutefois il y a quelques objections.

Celle-ci en particulier : toute la vie humaine se déroule dans un lien social. On en voit la trace dans le débat sur le courage : il en est qui disent que le suicide est un acte de courage, d'autres qui disent que c'est une preuve de lâcheté. C'est que celui qui se tue laisse derrière lui d'autres humains qui peut-être attendaient quelque chose de lui. L'homme ne naît pas de rien, ni en un lieu isolé. Il se développe et vit dans une communauté qui finance sa croissance, sa formation. Il fabrique d'autres humains devant qui il s'engage à les accompagner dans la vie. Il se peut qu'on arrive à décider qu'à un moment l'homme a le droit de prétendre avoir payé sa dette envers la société. Il se peut aussi que le problème ne se pose pas ainsi.

Bref l'homme est un animal social, et quand on dit qu'il est seul maître de sa mort et que le droit au suicide est inaliénable, on ne dit pas une évidence. On peut tout aussi bien soutenir qu'aucun humain n'existe seul, ne serait-ce qu'en raison du fait qu'il est né d'autres humains, d'où il suit qu'il a des comptes à rendre au sujet de ce qu'il fait de sa vie (et naturellement de sa mort).



LE FOND DU PROBLEME :

Il est facile de voir que la revendication de l'euthanasie repose sur la peur.

L'expérience constante de la prise en charge des malades en fin de vie permet de constater que ceux-ci sont en proie à deux peurs, et deux seulement : la peur d'avoir mal et la peur d'être abandonné. La perspective de la mort est vécue comme désagréable, déprimante, répugnante, mais pas exactement terrifiante. Quant à la peur de la déchéance, c'est un problème qui n'existe pratiquement pas chez le malade. Il ne faut jamais oublier que ceux qui parlent de la mort sont dans leur écrasante majorité des bien-portants qui ont des préoccupations de bien-portants.

Ce à quoi s'engagent les praticiens des soins palliatifs, c'est à résoudre le problème de l'inconfort physique et à ne pas abandonner leur malade à sa souffrance ; ajoutons qu'ils s'engagent, si la situation devient incontrôlable, à pratiquer un sommeil induit.

Ceci ne satisfait pas les tenants de l'euthanasie. D'un côté ils ont visiblement peur que les médecins ne tiennent pas leurs engagements, ce qu'on peut comprendre. Mais si les médecins les tiennent, ils sont assurés d'une fin de vie confortable. Dans ces conditions, qu'en est-il de leur désir ? Veulent-ils écourter l'évolution ? Il n'est pas si difficile de mettre fin à ses jours. Craignent-ils de se trouver incapables de le faire ? Il leur appartient de prendre leurs dispositions en temps opportun. Craignent-ils de se trouver pris en charge par des médecins incompétents ? Ils auraient davantage raison.

Mais c'est toujours là affaire de crainte, non de sérénité. Il se pourrait bien qu'au fond de tout cela on trouve une peur plus diffuse, celle du coup de faux, peur irrationnelle, qui conduit à revendiquer en fait une mort sous anesthésie générale...

Ce qui est remarquable dans cette affaire, c'est la confusion et la manière dont elle est entretenue. Il y en a essentiellement deux manifestations.

D'une part il y a l'idée que l'euthanasie est une : il n'y aurait pas de différence entre le fait de tuer un sujet en raison de sa souffrance et celui d'aider au suicide d'un sujet qui veut écourter sa fin. Pourtant il est clair que le second est libre alors que le premier est aliéné par sa souffrance. Si l'on tient à mélanger les deux, c'est sans doute parce que le caractère dramatique et compassionnel de la première situation permet d'emporter la conviction sur la seconde.

D'autre part il y a l'idée que l'euthanasie est un geste compliqué. Les films hollandais en particulier montrent des procédures extrêmement complexes, avec recours à des drogues d'accès limité comme les curares, alors qu'il y a infiniment plus simple, et que l'aspirine à dose convenable rend les mêmes services. L'art de mourir n'est pas si difficile à apprendre, et on est en droit de demander à qui veut le pratiquer de se renseigner au moins autant qu'il le fait pour acheter sa voiture. Pourquoi faut-il donc que l'euthanasie soit un geste compliqué ?

Il est difficile de répondre à cette question. Tout ce qu'on peut affirmer c'est que le résultat de cette complication est que le recours à un autre est ainsi rendu indispensable. L'euthanasie est maquillée en geste technique exigeant une compétence et imposant la présence du médecin. Il faudra réfléchir à cette curieuse inversion des données : ainsi donc, je suis le seul maître de ma vie, et je suis le seul maître de ma dignité ; mais pour ma mort j'aurais besoin de l'autre. Ma vie m'appartient, mais pas ma mort.

Etrange.



Le maître mot des tenants de l'euthanasie est qu'il s'agit d'un " geste fraternel ". Il s'agirait de l'aide désintéressée qu'un humain apporte à un autre humain : celui-là a décidé de ne pas vivre sa fin de vie ; quand il est devenu incapable de mettre fin à ses jours, il revient à un autre d'accomplir ce geste à sa place.

Rien de plus simple à comprendre, et une telle proposition est recevable. Mais il y a une difficulté : celui qui décide de maîtriser sa vie jusqu'au bout a tout à fait le droit de le vouloir, mais alors il lui appartient de prendre ses dispositions en temps utile, c'est-à-dire de mettre fin à ses jours tant qu'il en a encore la force.

Certes il est simple d'objecter que cette proposition est particulièrement cruelle : il n'est tout de même pas si facile de décider de mourir alors qu'on est encore un peu valide, que les affres de l'agonie ne sont pas encore là et que la vie vaut encore un peu la peine d'être vécue. Mais ne peut-on vraiment maintenir cette exigence ? Les gens qui veulent promouvoir l'euthanasie sont tout de même bien obligés de la réserver à ceux qui ne veulent a aucun prix d'une fin de vie difficile, et ce n'est pas trop leur demander alors que de le prouver en mourant pendant qu'il en est encore temps : si on ne le faisait pas, on serait fondé à dire qu'en fait il ne s'agit que de l'expression d'une peur. Quant à celui qui aurait laissé passer le temps opportun, on le comprend sans peine ; mais il demeure que ce faisant il s'en est remis à un autre du soin d'accomplir le geste décisif, et que cet autre à qui il s'en est remis a le droit d'avoir ses propres conceptions. En d'autres termes, je ne conteste pas à l'autre la liberté de mourir comme il l'entend, mais s'il ne prend pas ses dispositions et si les circonstances l'amènent à se trouver hospitalisé chez moi, ce sera non. Il est libre, mais moi aussi.

Le geste fraternel est un geste qui engage l'homme dans ce qu'il a de plus humain. C'est à la lumière de cette notion qu'on peut reprendre le débat sur le sommeil induit. Car les partisans de l'euthanasie voient dans le sommeil induit une hypocrisie : puisque cela aboutit à faire perdre au sujet la conscience qui le définit en tant qu'humain, pourquoi donc ne pas le tuer tout simplement ?

On ne saurait admettre que les gestes que l'on pose ne valent que par leur résultat ;on ne reprendra pas à ce sujet le débat sur le léninisme. Si le sommeil induit n'est pas une euthanasie, c'est parce qu'il est toujours réversible. Mais c'est aussi parce qu'il y a une différence entre le fait d'injecter le plus rapidement possible une dose massive de toxique et le fait de doser au plus précis les drogues somnifères, en s'ingéniant à être le moins toxique possible. Pour le soignant qui fait le geste il y a un monde : dans un cas il s'agit d'administrer un produit le plus vite et le plus fort possible, dans l'autre il s'agit au contraire d'aller le plus doucement le plus scrupuleusement qu'on peut.

Ceci, le malade en sommeil induit n'en a certainement pas conscience, et la chose lui importe peu. Mais parmi le gestes que je pose pour celui que j'aime, il y a précisément les gestes dont il sera informé et ceux qu'il ne connaîtra jamais. Les gestes les plus parfaits sont à l'évidence les seconds. On retrouve ici ce qui a été dit à propos de l'éthique : ce que je fais pour l'autre en sachant qu'il ne le saura pas sont des actes éthiques. Nier le sens de ces actes d'accompagnement, prétendre qu'au lieu de pratiquer le sommeil induit on ferait tout aussi bien de tuer le malade, c'est nier sur ce point à l'homme sa dimension éthique.

Ce qui revient à dire que l'homme se définit comme celui qui est capable de poser des actes dont il ne retire aucun bénéfice. L'homme est un curieux animal qui se reconnaît à sa propension à poser des actes impossibles et qui ne servent à rien.



LES QUATRE RAISONS :



Le médecin a quatre raisons de ne pas pratiquer l'euthanasie.

La première de ces raisons est que les malades qu'il soigne ont pour la plupart absolument besoin de savoir qu'en aucun cas il ne poserait un geste pour les tuer. En général les malades recourent au médecin pour vivre, non pour mourir. La confiance qu'ils lui font ne saurait être mise en doute. Le refus de donner la mort doit donc être un absolu, et toute exception détruirait définitivement cette certitude.

Imaginons que se trouve une situation où la seule chose à faire pour ce sujet soit de le tuer (et nous contestons formellement l'existence de telles situations). La question est de savoir si on peut effectivement le tuer, sans se demander quelles conséquences cela aura pour les autres. Sans doute, dans un tel cas, on va lui rendre service ; mais on aura ainsi mis en péril la confiance que lui font tous les autres patients, qui, eux, ont absolument besoin de savoir que le médecin ne les tuera pas.

Le modèle conceptuel est ici celui de cette jeune femme qui voulait être inséminée avec le sperme de son mari mort, ce qui impliquait que soit levé le secret sur les dons de sperme. Le Comité National d'Ethique avait refusé en disant que le fait de rendre ce service ( passons sur le fait que, peut-être, l'idée d'avoir un enfant d'un cadavre pourrait relever davantage d'un deuil pathologique que d'un véritable acte d'amour) à une personne en desservirait beaucoup. Il avait raison, même si la justice a été d'un autre avis.



La seconde est que si on peut concevoir qu'un homme mette fin à ses jours, il ne s'ensuit pas qu'il soit licite de se faire tuer par un autre. Ou plus exactement (car l'idée d'un acte licite pourrait renvoyer à un caractère sacré de la vie, notion qui n'est pas partagée par tous), il n'est pas possible de dire que la mort qu'on se donne équivaut à celle qu'on reçoit, à preuve, on l'a vu, que les tenants de l'euthanasie semblent vouloir à toute force que la mort soit donnée par un autre.



La troisième est que la décision d'euthanasie repose sur un accord mutuel : le sujet est parvenu à la conclusion que sa vie ne vaut plus d'être vécue, et le soignant aussi. Or le médecin digne de ce nom ne parvient jamais à cette conclusion. On retrouve ici la notion de dignité : la notion de dignité, n'est pas associée à une question d'escarres ou d'incontinence, et il n'est pas de vie qu ne soit pas digne. Dans ces conditions nul ne peut jamais acquiescer à une demande de mort. A noter que les tenants de l'euthanasie ne sont pas clairs sur ce point : ils parlent en effet de faire droit à une demande " licite, lucide et réitérée ". Si l'on peut définir ce qu'est une demande réitérée, si l'on peut envisager de définir ce qu'est la lucidité, on sera plus en peine pour définir ce qui est licite et ce qui ne l'est pas. On est donc acculé à dire que c'est l'autre qui dirait si ma demande est licite. On ne dit pas ici autre chose : c'est l'autre, et non moi, qui est juge de ma dignité.



La quatrième est qu'il y a toujours mieux à faire.



LE REFUS D'UNE LOI :

Cela dit, pourquoi ne pas accepter une loi sur l'euthanasie ?

On pourrait tout de même imaginer une loi qui stipulerait que ceux qui le désirent pourraient signer un texte demandant que dans telle et telle condition les médecins soient autorisés à les tuer, étant entendu qu'une clause de conscience leur garantirait la liberté de refuser, à titre personnel, de pratiquer cet acte. Ainsi pour l'avortement, qu'un médecin peut toujours refuser d'effectuer. Si la garantie est effective, si la liberté de chacun est préservée, de quoi se mêlent donc ceux qui refusent l'idée même d'une loi ?

Il y a trois arguments.

Le premier est que le principe de l'euthanasie est suspect dans ses fondements. La plus implacable condamnation de l'euthanasie a été prononcée par le sénateur Caillavet, Président deÉ l'ADMD. Celui-ci raconte la mort de son père, qui fit venir ses enfants et leur demanda : " Pensez-vous que le moment est venu ? " Les enfants ont répondu : " Oui ", et l'ont tué. Une conception qui pousse un père à demander à ses enfants s'il est bon à tuer, et qui pousse ses enfants à répondre oui est une monstruosité.



Le second est que ce principe est suspect dans ses conséquences. On a beaucoup dit qu'une loi sur l'euthanasie ouvrirait la porte à des abus. C'est vrai, et tous ceux qui parlent pour l'euthanasie montrent tôt ou tard qu'ils ne sont pas clairs sur ce point ; tôt ou tard leur échappe l'idée que, pour les déments par exemple, on pourrait s'autoriser à se passer de leur consentement formel. On les comprend : si tel sujet a clairement manifesté son désir d'être éventuellement euthanasié en cas de besoin, puis qu'il devient dément et que, dément, il souffre d'un cancer et se trouve en fin de vie, on ne saurait espérer qu'il renouvelle sa demande de mourir. Mais si l'on va dans cette voie on ne manque pas d'écorner sérieusement le principe, posé comme infrangible, de la volonté clairement exprimée et réitérée. Dès lors, à quels errements ne s'expose-t-on pas ! Notamment on va dire qu'il existe des cas où l'euthanasie est licite et des cas où elle ne l'est pas, et c'est la société qui va le dire. Comment peut-on ensuite soutenir que c'est le sujet et lui seul qui décide de ce qui est digne ?



Le troisième est qu'une loi, même si elle n'ouvre qu'un espace de liberté, modifie l'environnement social pour tous. C'est le problème du PACS : certes, il s'agit d'un acte volontaire, qui ne concerne que ceux qui le veulent et n'enlève rien à ceux qui préfèrent le mariage. Mais il y a tout de même un changement de statut fondamental : jusqu'à présent, la société réservait des avantages (fiscalité, succession, mutation des couples de fonctionnaires) à ceux qui prenaient un engagement de stabilité. On ne peut revendiquer à la fois la liberté du non-mariage et les avantages du mariage : c'est le beurre et l'argent du beurre. Le PACS est donc une absurdité, parce qu'il est ouvert à tous. Ce qu'il faut c'est tout autre chose : il faut organiser la vie commune de ceux qui ne peuvent pas se marier, c'est-à-dire les homosexuels et les parents ; quant à ceux qui ne veulent pas se marier, qu'ils acceptent les inconvénients de leur option. La loi sur le PACS ne change rien au mariage, elle se contente de le rendre inutile. De même une loi sur l'euthanasie pèserait nécessairement sur tous ; on le voit bien dans le discours des partisans de cette loi, qui affirment haut et fort qu'il y aurait une clause de conscience, mais qui disent en même temps que personne n'a le droit de les priver de ce qu'ils appellent " leur ultime liberté ".





EPPUR :

Il reste, quand on a tout dit, une ultime ligne de résistance : tout ceci est bel et bon, mais on se doute bien qu'il y a des exceptions, des cas-limite. Le plus manifeste, et ce n'est plus du tout, là, un cas d'école, est celui de pays du tiers-monde. Certes, la technique moderne, les morphiniques, les hypnotiques, permettent d'assurer le confort des malades en fin de vie. Encore faut-il les avoir à disposition. Comment se pose le problème de l'euthanasie dans les pays où il n'y a pas de morphine ? Ou, pour reprendre le cas (supposé, car rien ne prouve que les médecins en cause aient été incompétents ou négligents, et il faut jusqu'à preuve du contraire conserver l'hypothèse que l'infirmière en question a tout simplement mal agi) de Mantes-la-Jolie, que peut faire l'infirmière quand le médecin qui la commande ne veut pas remplir son rôle de médecin ?

Ce type de question ne peut être résolu. Mais il faut ici dénoncer ce qui est peut-être l'imposture fondamentale de cette fin de siècle : contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, il y a des problèmes qui n'ont pas de solution. Le pire qu'on puisse faire est alors d'en trouver une de force.

michel cavey

8 novembre 1998


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