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| Alimentation hydratation fin de vie | |
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| Sujet: Laisser mourir de faim et de soif(Loi Leonetti) 11.02.12 15:09 | |
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Trois ans après la loi sur la fin de vie, les limites du "laisser mourir" | 18.04.08 | 13h19 • Mis à jour le 18.04.08 | 14h25
Une jeune fille de 20 ans plongée depuis près de dix ans dans un coma neurovégétatif, sans espoir de guérison, et dont les parents demandent qu'on "la laisse partir" ; un homme atteint d'une sclérose latérale amyotrophique, emmuré dans un corps atrophié, et qui réclame la mort... Depuis l'entrée en vigueur de la loi Leonetti sur la fin de vie, en 2005, le Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin, à Paris, a été confronté à une demi-douzaine de situations extrêmes : autant de cas où a été discutée l'hypothèse d'un arrêt d'alimentation et d'hydratation en réponse à une demande de mort anticipée. Le centre est une structure unique en France, qui éclaire soignants et patients en cas de dilemme médical.
En l'absence de possibilité légale d'aide active à mourir, c'est cette forme de "laisser mourir", encore très mal connue des équipes soignantes, que la loi autorise. "Or, si elle est mal appliquée, cette pratique est potentiellement source de dérives éthiques", relève la directrice du centre, le docteur Véronique Fournier.
Proscrivant tout acharnement thérapeutique, la loi Leonetti a mis les médecins à l'abri de poursuites judiciaires quand ils décident d'un arrêt des traitements même si cela entraîne la mort de leurs patients. Dans la quasi-totalité des cas, elle a facilité la décision quand familles et soignants s'accordent à dire qu'il faut cesser toute escalade médicale.
Restent les personnes qui ne sont pas en fin de vie et qui ne dépendent, pour seul traitement, que d'une alimentation artificielle par sonde. C'était le cas du jeune Hervé Pierra, qui était en situation de coma neurovégétatif. Il a mis six jours à mourir après l'arrêt de sa sonde, dans des conditions extrêmement difficiles. Cela aurait été aussi le cas de Vincent Humbert, ce jeune tétraplégique qui a réclamé le droit de mourir, si le cadre posé par la loi Leonetti lui avait été appliqué.
Les responsables du Centre d'éthique clinique constatent que beaucoup d'équipes soignantes refusent d'appliquer cette forme de "laisser mourir". En outre, quand les soignants acceptent d'arrêter l'alimentation et l'hydratation, les mauvaises pratiques ne sont pas rares, faute de connaissances. "Certains s'y lancent sans s'être réellement préoccupés de savoir comment faire pour que cela se passe de la façon la plus digne et humaine possible", poursuit Véronique Fournier.
Dans certains cas, cela peut déboucher sur des situations très délicates. Selon qu'ils sont jeunes ou non, en bon ou mauvais état général, plongés depuis longtemps dans le coma ou atteints d'une maladie incurable, les patients ne réagissent pas de la même manière à l'arrêt de la sonde et aux sédatifs. Les équipes soignantes sont souvent désarçonnées, elles doivent s'adapter à des réactions, parfois impressionnantes, qu'elles n'avaient pas imaginées.
L'agonie dure parfois plusieurs jours, ce que supportent très mal les familles. Aux cinquième et sixième jours de son agonie, Hervé Pierra avait été secoué de convulsions si violentes qu'elles l'avaient décollé de son lit.
"Il y a un fossé considérable entre ce que ressentent les soignants et les familles, témoigne le docteur Fournier. Pour les médecins, arrêter les traitements, c'est choisir que la médecine se retire et que la nature reprenne ses droits ; l'agonie est en quelque sorte "normale", c'est le sas naturel entre la vie et la mort. Pour les familles, qui attendaient que l'âme soit libérée du corps, dans un départ médicalisé et rapide, cette étape peut s'avérer insupportable."
Pour ce médecin, la question que posent ces morts lentes, qui durent plusieurs jours, est celle du statut de l'agonie dans notre société. Alors que, dans les siècles précédents, l'agonie était socialisée, les mourants entourés par leurs proches jusqu'au dernier soupir, la société en fait aujourd'hui l'économie, en raison de la médicalisation de la fin de vie ; 70 % des Français meurent à l'hôpital. "Faut-il réapprendre à la considérer comme un moment essentiel de la toute fin de vie ?, s'interroge le docteur Fournier. C'est un vrai sujet : il me semble qu'au travers de la question de l'euthanasie, la société demande aux soignants de sauter ce passage-là, en réclamant une mort douce à la médecine."
Une clarification est d'autant plus nécessaire que les silences de la loi Leonetti peuvent entraîner des dérives éthiques. "Si la loi a explicitement refusé les pratiques euthanasiques, de telles pratiques peuvent pourtant avoir lieu sous son couvert", affirme le docteur Fournier. Un arrêt d'alimentation et d'hydratation peut ainsi être décidé avec pour intention un "faire mourir" plutôt qu'un "laisser mourir". "Cette situation ne me semble pas bonne, non pas parce qu'il faudrait réprouver en soi l'euthanasie, mais parce qu'il n'est pas sain qu'elle ne soit pas assumée", analyse Véronique Fournier.
Cécile Prieur |
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| Sujet: Re: Alimentation hydratation fin de vie 11.02.12 15:44 | |
| Et si on parlait plutôt de la fin de vie ?
Par PHILIPPE BATAILLE Sociologue, directeur de recherche à lEHESS (Cadis-CNRS)
Lors de la médiatisation de l’affaire de Bayonne, de nombreux contrastes sont apparus. Retenons en trois qui font s’interroger sur le devenir de la loi Leonetti dans la gestion médicale de la fin de vie. Cette loi autorise à «laisser mourir» un patient qui le souhaite en arrêtant tous les traitements, puis en arrêtant l’alimentation et l’hydratation si le corps survit à l’arrêt des traitements. Sa mise en œuvre a favorisé le développement des soins palliatifs qui font désormais autorité pour prendre en charge la mort à l’hôpital.
Mais il faut savoir plusieurs choses. D’abord, sur plus de 500 000 décès par an en France, quelque 200 000 ont lieu dans des activités cliniques reliées à l’urgence, notamment en réanimation. Dire que 80% des décès se produisent à l’hôpital masque les circonstances dans lesquelles ils se produisent. Qui s’est soucié de cette femme parvenue au terme de son existence, d’un âge très avancé, évidemment affaiblie, qui ne réclame rien de plus, dans un ultime filet de voix, que la possibilité d’uriner, et que l’on retrouve morte et inondée lorsqu’on se penche sur son brancard, à l’exact emplacement où elle fut déposée quelques heures plus tôt par un ambulancier. Des cas comme celui-ci sont quotidiens.
Retenons alors qu’il n’existe pas d’offre de soins réels, et surtout pas palliative, pour ceux qui rejoignent l’hôpital au seuil de leur mort. Nul ne peut plaider le manque de moyens palliatifs, car le mourant déjà à l’agonie qui arrive aux urgences n’intéresse pas ces services qui affirment ne pas être une médecine du mourant.
Un second contraste étonne. Que n’a-t-on pas entendu sur le caractère isolé du geste du médecin ? Le suicide de son père, médecin lui aussi, a suscité le doute sur son propre équilibre psychologique et sa compétence de médecin. En même temps, plusieurs centaines de ses collègues se sont rassemblés dans le hall de l’hôpital de Bayonne pour lui apporter leur soutien. Et les familles concernées par la mort d’un des leurs n’ont toujours pas porté plainte.
Que faut-il penser ? La justice le dira. Admettons malgré tout la faiblesse de l’argument de l’acte irraisonné, voire de la manifestation d’une pathologie souterraine ou de la transcription médicale d’un rapport personnel à la mort. La spontanéité avec laquelle diverses manifestations et pétitions de soutien à l’urgentiste ont fleuri détruit plus encore l’impression d’une hérésie. Le soupçon du désordre psychologique nous rappelle que c’est toujours le cas pour ceux qui envisagent de se soustraire à l’agonie, ce temps de la mort que les soins palliatifs réhabilitent.
Pourquoi soupçonner d’intentions mortifères celui qui envisage le décès d’un être qu’il aime profondément, ou pourquoi traiter de suicidaire le candidat à la dispense de l’agonie ? Le silence des familles de Bayonne demeure sur ce point bien troublant. Supposons qu’elles entretiennent leur paix personnelle du travail de deuil qui était à l’œuvre. Mais à quelles conditions favorise-t-on le deuil de ceux qu’on laisse derrière soi au moment de mourir ? Et qu’y peut l’hôpital puisque c’est dans ses bras que nous mourons presque tous ?
Sur ce point, les soins palliatifs ont d’évidence une réponse défaillante qui promeut la culture de l’agonie à laquelle n’adhèrent pas les Français qui en financent pourtant l’activité.
Dans l’affaire de Bayonne, un troisième contraste interroge. Pourquoi les premières interventions politiques du gouvernement n’incitent-elles à ne parler que d’euthanasie, pour en condamner précipitamment la pratique avant que l’on sache très précisément ce qui s’est passé, sans plus parler de la fin de vie alors que c’est aussi la question ? Comment meurt-on en France lorsqu’on est orienté vers des services d’urgence à la toute fin de sa vie ? Parlons de l’euthanasie après l’élection présidentielle, propose Jean Leonetti, actuel ministre des Affaires européennes. C’est à n’y rien comprendre. Que n’a-t-on pas organisé ce débat avant et pourquoi pas maintenant puisque des candidats ont déjà fait des propositions sur ce sujet ?
Ces incohérences s’expliquent si l’on admet que le masque tombe. La réalité est que la loi Leonetti sur la fin de la vie est devenue le protocole Leonetti d’arrêt de vie. On ne peut s’entendre sur sa mort avec un médecin que s’il pratique le «laisser mourir». Avec ce cadre juridique devenu protocole de médecine depuis peu, il arrive qu’on arrête l’alimentation et l’hydratation de grands prématurés de moins d’un kilogramme.
Le protocole Leonetti (arrêt de l’alimentation et de l’hydratation) s’applique aussi à des patients atteints d’une pathologie évolutive qui sont parvenus au bout de leur lutte personnelle et qui réclament que «cela cesse», ne souhaitant pas voir la maladie les «dévorer», selon leurs propos que j’ai recueillis dans un service de soins palliatifs. Ce protocole est-il appelé à s’étendre à des vieillards à l’agonie dont le corps ne s’éteint pas ?
On doit, c’est une évidence, faire preuve d’humanité envers ceux qui ont lutté contre la maladie et la mort, et envers leurs proches. Cette humanité, n’est-on pas en droit d’espérer qu’elle offre un accompagnement vers la fin de vie qui soit autre chose qu’une proposition d’affamer et d’assoiffer jusqu’à ce que mort s’ensuive ?
Ayant compris l’équation de la mort à l’hôpital, nombre de vieillards ou de malades hésitent désormais à s’engager dans des soins dont ils savent qu’ils ne sortiront plus ou, à l’inverse, s’obstinent à en recevoir plus encore, mais en espérant finalement mourir de l’effet secondaire ou délétère de l’un d’entre eux. Pour beaucoup, mieux vaut mourir aux urgences qu’au terme d’une agonie dont ils ne veulent pas.
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| Sujet: Re: Alimentation hydratation fin de vie 11.02.12 16:00 | |
| Extraits du livre d’Axel Khan « L’ultime liberté ? » concernant notre fils Hervé Pierra. L’affaire Hervé Pierra (de la page 82 à 91)
A vingt ans, Hervé Pierra effectue son service militaire. Mais trois mois après son incorporation dans l’armée, au cours d’une permission, le 30 mai 1998, il tente de mettre fin à ses jours dans l’appartement où vivent ses parents. Transporté à l’hôpital dans un état jugé critique, il sort du coma au bout de deux mois, ses yeux s’entrouvrent mais il ne manifeste aucune réaction. Il est immobile, comme emmuré dans le silence. Pendant les longs mois qui suivent, malgré les soins qui lui sont prodigués, la présence quotidienne de ses proches et surtout de sa mère, son état ne s’améliore pas.
Un an après sa tentative de suicide, Hervé, qui a conservé un rythme biologique de veille et de sommeil, ne manifeste aucun signe indiquant qu’il puisse disposer, d’une manière ou d’une autre, de la moindre conscience de lui-même ou de son environnement. Il n’est plus dans le coma. Son état est qualifié de coma végétatif, une expression utilisée pour les mille cinq cents à deux mille personnes qui, à la suite d’un accident de la route ou du travail, d’un accident domestique, d’un accident vasculaire cérébral, d’une tentative de suicide, ne présentent, selon la littérature médicale, aucune évolution favorable au sortir du coma après un délai compris entre trois et six mois lorsque l’état végétatif a une origine médicale, et entre douze et dix-huit mois lorsqu’il a une origine traumatique.
Hervé survit grâce à une trachéotomie qui lui permet de respirer. Il est hydraté et nourri artificiellement par une sonde gastrique dans laquelle s’écoule le contenu d’un sachet dit de « gavage ». Les seuls soins qui lui sont prodigués sont dits de confort.
Ses parents, des gens très croyants, accompagnent leur fils depuis des années avec attention et courage. Mais force est de reconnaître que depuis sa tentative de suicide l’état d’Hervé ne s’est pas amélioré, et tout l’amour d’une famille, tous les soins prodigués, oserais-je dire tous les espoirs mis en œuvre, n’ont eu aucun effet. Hervé dort sur son lit sans montrer aucun signe de progrès. Sa tentative de suicide remonte au 30 mai 1998 et ce n’est que quatre ans plus tard, en 2002, que ses parents commencent à exprimer auprès de médecins le désir de mettre fin à cette nutrition forcée qu’ils considèrent comme de l’acharnement thérapeutique.
La loi Kouchner sur le droit des malades leur donne matière à renforcer leurs arguments, mais les médecins du CHU de Saumur où Hervé est hospitalisé refusent. L’affaire Vincent Humbert éclate dans un tapage médiatique que nous avons décrit, et pour les parents d’Hervé, cette affaire a une résonnance particulière.
Mais, écriront-ils à l’époque, « nous n’aurions pas pu agir comme l’a fait Marie Humbert, non par peur de la prison, mais parce que nous n’aurions pu survivre à ce geste ». Paul et Danièle Pierra, les parents d’Hervé, ont toujours montré un très grand respect des textes législatifs en vigueur dans notre pays.
En 2005, soit sept ans après le début du long coma de leur enfant, l’adoption de la loi Léonetti va leur donner le droit d’exiger que cesse tout acharnement thérapeutique. Compte tenu de l’état de leur fils, de son état antérieur, la famille considère que maintenir Hervé en vie en le nourrissant artificiellement n’a pas de sens. L’équipe soignante du CHU de Saumur, pour des raisons qui lui appartiennent et que je ne commenterai pas ici, ne manifeste guère, selon la famille et leur avocat, de compréhension, voire même se révèle plutôt hostile à cette solution. Mais contrainte par la nouvelle législation, elle accepte d’en étudier la mise en œuvre.
Je ne vais pas décrire ici les méandres des procédures et des atermoiements qui dénotent chez les médecins une frilosité excessive, peut-être de la mauvaise volonté. Dans cette affaire, la maman d’Hervé, une femme digne et fervente, a toujours manifesté une grande discrétion, ne souhaitant pendant les premières années ni médiatiser, ni même revendiquer une action militante pour faire avancer la législation. On assiste donc là à une histoire singulière où, nous allons le voir, la responsabilité d’une équipe soignante va être engagée, tout comme l’extraordinaire difficulté de faire bouger les mentalités et de mettre en application une législation nouvelle.
Pendant plus d’un an, batailles d’experts, réunions diverses et variées aboutissent à une impasse. Le docteur Régis Aubry, ancien président de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs et responsable du département douleurs-soins palliatifs au CHU de Besançon, est appelé comme consultant. Il doit émettre un avis sur le cas d’Hervé Pierra. En quelques mois, devant l’obstination des équipes soignantes et à la demande des parents et de Jean Léonetti lui-même, il va se transformer en médiateur.
« Considérant comme acquis que l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation dans le cas de coma végétatif provoque un décès rapide, sans agonie lente, et n’entraîne pas de souffrances, ni de douleurs particulières », il estime que la demande des parents doit être entendue conformément aux dispositions de la loi. Dans le document qu’il remet, il estime aussi que, « si l’euthanasie constitue une véritable violence qui peut avoir des conséquences sur la souffrance des proches, l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation ménage un temps important à ne pas occulter pour la famille. Si le délai entre une décision d’arrêt des traitements alimentaires et le décès peut apparaître très long a priori, il s’avère être un temps important pour l’accompagnement : ce sont les moments du détachement. Cette question du détachement physique est un point qui me semble important en particulier pour Mme Pierra qui est présente chaque jour depuis de nombreuses années auprès de son fils ». Et pour conclure il prend soin de préciser : « Il s’agit d’une situation extrêmement difficile, singulière. Bien sûr l’objectif ne peut pas être de faire au mieux mais de trouver la moins mauvaise réponse. »
Á la suite de ce que l’on peut considérer comme une médiation, c'est-à-dire l’intervention éclairée du docteur Aubry, l’équipe soignante de l’hôpital de Saumur accepte de se conformer à la demande des parents dans le cadre de la loi. Dix-huit mois après la première demande, le médecin responsable met en route le processus. Il procède à l’ablation de la sonde qui nourrit et hydrate Hervé et demande à l’équipe de soignants de garde d’effectuer des soins de bouche, « un point c’est tout ». Hervé Pierra, pour des raisons que je ne décrirai pas dans le détail ici, va mettre six jours à mourir dans des conditions intolérables. Pris de convulsions répétées qui n’étaient pas prévisibles, mais qui se sont révélées fréquentes et régulières, ce jeune garçon agonise durant des jours devant ses parents épouvantés et impuissants. Le spectacle fut effroyable, l’épreuve insupportable, et les médecins, semble-t-il, inactifs.
Si j’avais été confronté à un scandale de cet ordre, j’aurais porté plainte contre l’équipe médicale, ce que les parents n’ont pas fait, car le devoir du médecin est sans ambiguïté – je me suis déjà exprimé sur ce point. Même lorsqu’il n’est plus possible de guérir, un médecin se doit de soulager son patient. Face à quelqu’un qui va mourir, et c’était le cas, le médecin est d’être délié de ce devoir, il se doit d’apaiser son patient par tout les moyens nécessaires. Les médecins n’apparaissent pas s’y être employés. On peut argumenter en avançant qu’Hervé Pierra convulsait mais ne souffrait sans doute pas. Ces arguments sont irrecevables. Le coma végétatif sans conscience peut comporter des sensations désagréables, des souffrances, même si leur traitement cognitif est aboli. Les animaux les moins cérébralement développés souffrent aussi ! Que les médecins n’aient pas administré de produits anticonvulsifs ni de calmants est de ce fait incompréhensible et insupportable. C’est une erreur médicale, en aucune façon une insuffisance de la loi Léonetti. L’application de cette loi, à la demande de la famille, aurait dû consister en la cessation de l’hydratation et de l’alimentation, avec la mise en place concomitante d’une perfusion de substances anticonvulsives et sédatives. Ce garçon qui « dormait » depuis déjà huit ans aurait dormi six jours de plus et serait mort dans le calme.
Le cas d’Hervé Pierra n’aurait dû poser aucun problème à une équipe médicale pleinement informée et jouant en conscience la lettre et l’esprit de la loi. Je suis sévère avec eux, mais ces confrères, si les rapports de l’affaire qui ont été publiés sont exacts, se sont comportés d’une manière choquante qu’il est difficile d’admettre. Leur attitude rappellerait celle des bonnes sœurs qui pratiquaient autrefois des curetages sans anesthésie sur des femmes ayant eu recours à des manœuvres abortives, et qui exprimaient ainsi leur réprobation sans concession du geste. La rédemption par la douleur et la punition ! Je suis sûr que les médecins d’Hervé n’ont pas cherché à le punir, lui ou sa famille, mais ils auraient fait preuve d’une parfaite mauvaise volonté ou d’une incompétence incompréhensible, signifiant peut-être aux parents qu’ils étaient opposés au geste qu’ils avaient été contraints de réaliser et qu’ils se lavaient ainsi les mains de ses conséquences. Ils seraient alors coupables, en quelque sorte, de non-assistance à personne en danger de souffrance, Hervé Pierra ou au moins sa famille. Or un médecin peut être condamné pour cela. Quels que soient ses sentiments, il se doit de calmer les douleurs des malades. Mes confrères apparaissent de ce fait avoir commis une erreur, soit médicale, soit morale.
Á propos de cette affaire, le député Jean Léonetti a réagi en disant que sa loi définissait les conditions du « laisser mourir » et n’était pas latitude à « laisser crever ».
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| Sujet: Re: Alimentation hydratation fin de vie 11.02.12 16:28 | |
| Extrait du livre du député Jean Léonetti "Á la lumière du crépuscule" concernant notre fils Hervé Pierra. LAISSER MAL MOURIR
« L’acharnement thérapeutique est complètement inutile. Il faut bien voir que la plupart du temps, à l’hôpital, on meurt parce qu’un médecin a décidé qu’il fallait mourir. Á un moment donné, il enlève le tube. Il fallait bien l’enlever à un moment ou à un autre… »
Albert Jacquard
Il est sapeur-pompier, c’est dire que des blessés et des morts, il en a rencontré dans sa vie professionnelle. Mais ce jour-là, c’est son fils qu’il a dû réanimer après que ce dernier ait choisi de se pendre pour mettre fin à ses jours.
Au début, certainement, l’espoir était intact. Il était jeune et vivant et s’il ne reprenait pas immédiatement connaissance les progrès viendraient plus tard. Mais il est vite apparu dans le cheminement médical du non-dit que la vie resterait ainsi, « végétative » disent les médecins, comme un « légume » se risquent à avancer plus crûment certains. Le corps biologique présent et l’esprit absent, l’assistance pour respirer, le tuyau pour nourrir et les mois et les années qui passent, le deuil qui s’installe et s’assume. La loi d’avril 2005 dit bien « qu’il est possible d’arrêter un traitement qui n’a d’autre but que le maintien artificiel de la vie ». Il demande alors avec son épouse l’arrêt de ce qu’il considère être un acharnement thérapeutique. Á partir de ce moment, le corps médical se braque devant ce qu’il interprète être une demande euthanasique. Le parquet alerté, se rend sur place pour rappeler l’interdit de tuer créant une situation de tension entre la famille et les médecins. Régis Aubry consulté fait une analyse complète de la situation au regard de l’éthique et de la loi. Le corps médical, après vérification juridique, accède à la demande de la famille après lui avoir fait signer un protocole que ne réclame pas la loi. Tous les traitements arrêtés la mort survient au bout d’une semaine dans un tableau de fièvre, d’encombrement pulmonaire et de convulsions. Ce moment a été vécu comme un « temps de l’horreur » par la famille.
J’avais déjà rencontré ce père révolté qui considère qu’on n’a pas accompagné son enfant, mais qu’il a été abandonné par peur des juges ou parce que les médecins ont plus suivi la lettre que l’esprit de la loi. L’arrêt des traitements ne signifie évidemment pas l’arrêt des soins et la loi l’indique clairement sans préciser dans le détail les traitements préconisés. Il tombe également sous le sens que le corps ne peut être abandonné et « démédicalisé » sous prétexte que la douleur n’est probablement pas ressentie par un sujet dans le coma.
De toute évidence, la médecine moderne est capable de sauver des vies, parfois de les prolonger artificiellement, alors que l’humain s’est retiré de la machine biologique maintenue en vie par les machines médicales. Il est un moment où la sagesse, l’humanité et l’humilité doivent contraindre à arrêter ce qui est devenu inutile ou disproportionné. La loi l’affirme clairement ajoutant que le médecin dans ce cas doit préserver la dignité du mourant. Pour le malade et sa douleur potentielle non exprimée, pour son entourage en souffrance, pour le simple respect de ce corps abritant une vie finissante, l’arrêt d’un traitement inutile de survie ne dispense pas du devoir de non-abandon et d’un traitement d’accompagnement.
Fallait-il ajouter la souffrance d’un départ douloureux à celle du deuil ?
Je sais qu’après lui avoir retiré les moyens de survie artificielle, endormir profondément ce jeune homme et compenser tous les troubles apparents même probablement non ressentis n’était pas une faute légale et constituait un devoir moral.
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| Sujet: Re: Alimentation hydratation fin de vie 11.02.12 16:47 | |
| Interview du journal Libération La mort et l'euthanasie selon Jean Leonetti, député UMP en France www.genethique.orgMardi 9 Septembre 2008 Le journal Libération a accordé une interview à Jean Leonetti, député UMP et spécialiste des questions de la mort et de l'euthanasie à l'Assemblée nationale. Il est l'auteur de la loi sur la fin de vie qui porte son nom et pilote une mission parlementaire qui fait le bilan de l'application de la loi. Il reconnait que dans sa loi, "chacun y a mis ce qu'il attend", que ce soit les personnes favorables à l'euthanasie ou que ce soit ceux qui y sont opposés. Jean Leonetti estime que beaucoup attendaient de cette loi une réponse univoque. Or, "c'est une loi qui propose une méthode pour choisir la moins mauvaise des solutions. Une méthode qui repose sur la transparence et la collégialité. Si le patient est conscient, c'est lui qui décide de l'arrêt des traitements. S'il ne l'est pas, ce sont les médecins". Jean Leonetti Revenant sur l'affaire Pierra, mort dans des spasmes provoqués par l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation (cf. Synthèse de presse du 09/05/2008), Jean Leonetti explique qu'il s'agissait d'une incompétence médicale. Pour lui, il fallait accompagner l'agonie d'Hervé Pierra et non se retirer et attendre la mort. Cette affaire, explique-t-il, a révélé l'ambigüité de l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation. "Quand on arrête l'alimentation d'un patient, ce n'est pas pour soulager, mais pour provoquer la mort. En d'autres termes, on n'est pas dans le laisser mourir mais dans le faire mourir". Si boire et manger relèvent pour nous de quelque chose de naturel, il souligne qu'il s'agit d'un soin dans des situations de fin de vie. Poser une sonde gastrique est un acte chirurgical. Arrêter l'alimentation et l'hydratation peut paraître "barbare" explique t-il, alors que "le patient n'en souffre pas". Les personnes âgées par exemple meurent parfois parce qu'elles ne peuvent plus s'alimenter et s'hydrater et cela est perçu comme une fin de vie "naturelle". Pour Jean Leonetti lorsqu'on arrête un traitement, "nous ne sommes pas en train de donner la mort, mais nous arrêtons une survie inutile". Pour lui, il ne s'agit pas de situation "de faire mourir". Il cite trois situations dans lesquelles on est confronté à des interrogations : le nourrisson que l'on a réanimé et dont on s'aperçoit que son cerveau a de graves séquelles ; les personnes en état végétatif chronique que l'on maintient en les nourrissant artificiellement ; le traumatisé crânien qui a été réanimé. Dans ces 3 cas, il estime qu'"arrêter les traitements n'est pas du "faire mourir". L'intention n'est pas la même. Reste que l'on prend une décision médicale, qui entraîne la perception que la mort va survenir après cette décision". Pour lui, la vraie question qui subsiste alors c'est le temps de l'agonie. Sur ce point, il s'est rendu compte que "l'agonie c'est les autres. Le regard des autres. C'est l'entourage qui pose problème". Il s'interroge : "n'est-il pas légitime d'offrir à l'entourage qui souffre une mort apaisée, sans hoquets, ni convulsions"? Il y a sur ce point un défaut dans la loi, explique t-il : "on doit à la famille une fin de vie apaisée". Ainsi dans le cas d'un nourrisson réanimé, la sédation terminale lui paraît être la conséquence quasi obligatoire d'une décision d'arrêt thérapeutique. Pour conclure, Jean Leonetti estime que sa loi règle presque tous les problèmes. "Le problème, c'est le presque. Reste à assumer le "double effet" (expression qui décrit l'effet de certains médicaments dont le but est de soulager la douleur mais qui peuvent, parallèlement, provoquer la mort) dont le but n'est pas le confort du malade, mais le confort de l'entourage. Ce qui est accepté par le mourant n'est pas toujours accepté par l'entourage." Interrogé sur d'éventuels aménagements de sa loi, il reconnait qu'ils ne seraient peut être pas consensuel : "la sédation terminale n'est pas consensuelle. Mais avant de provoquer des clivages, continuons le plus loin à réfléchir ensemble." |
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| Sujet: Re: Alimentation hydratation fin de vie 11.02.12 17:11 | |
| Euthanasie par arrêt d'alimentation : la loi Léonetti prise à son propre piège ? Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 01 mai 2008 lll.Le diable se cache bien souvent dans des détails. En matière de législation sur la fin de vie, il y en est un qui pourrait se révéler désastreux en se retournant contre la loi Léonetti dont l'équilibre précaire serait une nouvelle fois remis en question.
L'affaire Pierra, du nom de ce jeune homme mort à la suite du débranchement de sa sonde d'alimentation, en est la triste illustration.
Les principes judicieux de la loi Leonetti
Pour y voir clair, rappelons en premier lieu que les principes généraux de la loi relative à la fin de vie sont tout à fait judicieux au regard d'une éthique respectueuse de la vie du malade. Pour cela, ils méritent d'être toujours mieux explicités en direction des professionnels de la santé en particulier et de l'opinion publique en général.
Le dispositif législatif n'ouvre aucun droit à la mort médicalement provoquée en maintenant fermement l'interdit fondateur du meurtre incompatible avec nos valeurs démocratiques. À aucun moment, la mission parlementaire présidée par le député et médecin Jean Leonetti n'a admis que la société assigne au corps médical la tâche d'administrer la mort à des malades. En parfaite consonance avec l'article 38 du code de déontologie médicale héritier du serment antique d'Hippocrate : Le médecin n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort.
La commission sur l'accompagnement de la fin de vie l'avait d'ailleurs solennellement affirmé devant l'Assemblée nationale à l'occasion de l'exposé des motifs : Estimant que la dépénalisation de l'euthanasie remettrait en cause le principe de l'interdit de tuer, limite dont le franchissement n'a été revendiqué au demeurant par aucun professionnel de santé ni aucun juriste au cours de ses huit mois de travaux, la mission s'est attachée pour l'essentiel à codifier les bonnes pratiques. Par ailleurs, la loi proscrit toute obstination déraisonnable dans le champ des actes de soins, expression reprise de l'article 37 du code de déontologie médicale pour qualifier l'acharnement thérapeutique. L'article L. 1110-5 du CSP est ainsi modifié : Lorsque ces actes apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Certains ont parlé d'un droit au laisser mourir comme un premier pas en faveur d'une dépénalisation exceptionnelle de l'euthanasie. Cette appréciation est on ne peut plus fausse.
L'encadrement législatif est centré sur le concept pertinent de proportionnalité des traitements et vise bien au contraire à faire reculer l'arbitraire des décisions de limitation ou d'arrêt de traitement. Éviter une intervention médicale disproportionnée à l'évolution de la pathologie du malade relève des bonnes pratiques. Il est en effet parfaitement licite de ne pas débuter ou suspendre un traitement disproportionné puisque l'intention est de renoncer à l'acharnement thérapeutique qu'il induirait, contraire au bien du malade. Cela ne relève aucunement de la même appréciation morale que l'euthanasie. C'est le cas lorsque le médecin omet un traitement proportionné à l'état du malade dans l'intention première de le faire passer de vie à trépas ; on parle à juste titre d'euthanasie par omission. Ne pas empêcher quelqu'un de reculer dans le vide alors qu'on le pourrait constitue une faute morale de même nature que l'acte qui consisterait à le pousser, la distinction entre omettre et commettre n'ayant pas de pertinence éthique en matière d'euthanasie si le but est bien de tuer le malade. L'euthanasie est en effet l'acte ou l'omission réalisés par un tiers dont l'intention première est d'aboutir à la mort d'une personne malade pour supprimer ses souffrances.
Malgré cette approche éthique remarquable sur le plan général, la loi française introduit une modification regrettable dans le code de la santé publique dont plusieurs observateurs ont montré à l'époque qu'il s'agissait d'une bombe à retardement. Gilles Antonowicz, vice-président de l'ADMD et avocat de Chantal Sébire, dans sa logorrhée vindicative, a bien l'intention de la faire exploser en sortant ce 2 mai un livre intitulé Moi, Hervé Pierra, ayant mis six jours à mourir (Bernard Pascuito Éditeur).
La loi du 22 avril 2005 accorde effectivement au patient, qu'il soit ou non en fin de vie, la liberté de refuser n'importe quel traitement ainsi que le stipule le nouvel article L. 1111-4 du CSP dans lequel les termes un traitement sont remplacés par tout traitement . Selon certains, c'est ce tout petit mot qui fait la différence car il justifie pour eux l'arrêt de l'alimentation artificielle. D'autant que la mission parlementaire a bien pris soin de préciser dans son Rapport et l'exposé des motifs de la loi que les limitations et les arrêts de traitement s'appliquent à tout traitement, quel qu'il soit, y compris l'alimentation artificielle. Celle-ci est aujourd'hui en effet considérée par des médecins, par des théologiens et par le Conseil de l'Europe comme un traitement [1] . C'est le ressort intime de l'affaire Pierra dont s'est emparé Gilles Antonowicz.
L'euthanasie d'Hervé Pierra
Hervé Pierra est un jeune homme au terrain psychologique fragile. Consommation régulière de cannabis, diagnostic d'une schizophrénie débutante à la fin des années quatre-vingt-dix. Après une hospitalisation bénéfique, sa famille pense voir le bout du tunnel : Il allait mieux, confie son père. Il faisait son service militaire, avait repris le sport, était sorti major du peloton d'élèves gradés et voulait devenir sergent (Le Monde, 19 mars 2008). Mais il y avait un gros hic : les médicaments qu'il prenait pour sa schizophrénie l'avaient rendu impuissant.
Le 30 mai 1998, c'est son père, capitaine de sapeurs-pompiers à Paris, qui le découvre pendu. Avec ses collègues, il parvient à le sauver mais le manque d'oxygénation du cerveau le laisse dans un état comateux. Pour qualifier la condition de ces malades dont le coma se prolonge au-delà d'une année, les spécialistes parlent d'état végétatif persistant. C'est le cas d'Hervé Pierra qui est transféré dans une unité de soins au long cours. Les parents font preuve de beaucoup de sollicitude dans l'accompagnement de leurs fils. L'idée de mettre fin à ses jours nous a bien sûr effleurés, reconnaît la maman, mais nous savions que nous n'aurions pas pu survivre à ce geste.
Vint alors la discussion sur la fin de vie qui bat son plein suite à l'euthanasie de Vincent Humbert le 30 septembre 2003. Affaire qui semble faire vaciller les convictions des époux Pierra qui vont suivre dans les moindres détails les développements de cette histoire, puis les travaux de la commission parlementaire sur la fin de vie (Le Monde, ibid.). Ils s'inscrivent conjointement à l'ADMD et à l'association fondée par Marie Humbert : Faut qu'on s'active. Nous avions plein d'espoir pour la libération d'Hervé , avoue le papa.
Dès la promulgation de la loi Leonetti, il demande avec sa femme que la sonde d'alimentation du jeune homme lui soit retirée. Pourtant, l'équipe médicale qui a en charge Hervé refuse catégoriquement la requête de ses parents, rappelant que l'alimentation assistée relève d'un soin de confort et non d'un traitement. La débrancher équivaudrait à une euthanasie, martèlent-ils. Au terme d'une confrontation qui durera plus de quatorze mois, la famille fera intervenir un médecin consultant extérieur à l'établissement comme la loi le permet. En l'occurrence, le docteur Régis Aubry, président du Comité national du développement des soins palliatifs qui remettra un rapport favorable à la demande des époux Pierra.
Comme Terry Schiavo aux USA, Hervé Pierra mettra six jours pour mourir de faim. Décès précédé par de violentes convulsions qui bouleverseront durablement son entourage. On crie alors au scandale de la mort sale que permet la loi Leonetti. Incompétence médicale ? Défaut de sédation ? On a beau jeu aujourd'hui d'accuser l'équipe soignante de tous les maux alors qu'on lui a forcé la main pour retirer la sonde gastrique. Le débat n'est pas à ce niveau. C'est bien le statut de l'alimentation artificielle qui est au cœur de ce nouveau drame et non point l'application plus ou moins réussie de la loi autorisant son arrêt.
L'alimentation artificielle est un soin toujours dû
De nombreux bioéthiciens, n'en déplaise à la mission sur la fin de vie, contestent le fait de ranger l'alimentation artificielle parmi les traitements. Si la procédure relève en effet initialement de la technique médicale, son but est de répondre à un besoin élémentaire de nourriture qui permet en définitive la dispensation d'un soin de base. Une fois la sonde posée, l'alimentation devient de l'ordre de la gestuelle des soins. Plusieurs auteurs classent l'alimentation assistée dans une niche spécifique pour signifier qu'elle représente un acte technique sans pour autant être réductible à un traitement thérapeutique classique. Ils suggèrent de la renommer nutrition médicale afin d'insister sur son caractère ordinaire pour la conservation de la vie.
En effet, l'alimentation assistée ne cherche pas tant à contrecarrer une pathologie organique touchant cette fonction qu'à pallier un problème simplement mécanique en répondant à un besoin de base de l'organisme. Le recours à ce geste permet de contourner un défaut de déglutition – patent dans la situation d'une personne en état végétatif – sans que cela n'équivaille à une incapacité d'assimiler les nutriments. En aucun cas, on ne peut parler d'obstination déraisonnable ou de traitement disproportionné au sens de la loi Leonetti puisque justement l'alimentation médicale peut être poursuivie longtemps sans effet secondaire majeur et avec une grande efficacité pour soutenir la vie du patient dans le coma : c'est exactement la définition d'un soin proportionné !
L'intention de laisser advenir une mort par inanition contre laquelle on pourrait lutter avec la perspective d'un succès durable au plan du maintien de la vie, et donc ne pas vouloir l'empêcher alors qu'on le pourrait, n'est ni plus ni moins qu'une euthanasie. En définitive, la mort, qui est la conséquence directe d'une suspension dans l'administration des nutriments chez un patient qui ne peut s'alimenter seul, est souhaitée ici pour elle-même afin de supprimer une personne dont on juge la qualité de vie insupportable. Y consentir relève bien d'un geste euthanasique. Plutôt que de parler de soin disproportionné, ne faut-il pas plutôt admettre que c'est la vie de ces malades qui nous semble disproportionnée en raison de leur faible qualité ? Le professeur d'éthique canadien, Hubert Doucet, l'affirme clairement : Cette position se fonde sur la reconnaissance que dans ce cas, la mort est meilleure que la vie. Elle porte en soi une dynamique de discrimination et d'euthanasie. Si la condition mentale et physique délabrée est à l'origine de la prise de décision, n'est-ce pas de la discrimination ? Si cette personne est privée de nourriture parce que sa mort apparaît moins misérable que sa vie, c'est une forme directe d'euthanasie. Les conséquences sociales d'une telle position sont extrêmement inquiétantes [...]. Dans ce cas, il n'y a pas de différence entre tuer et laisser mourir quelqu'un. Le Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin le concède également à propos du cas d'Hervé Pierra, par la voix de sa directrice, le docteur Véronique Fournier : Si la loi a explicitement refusé les pratiques euthanasiques, de telles pratiques peuvent pourtant avoir lieu sous son couvert [...]. Un arrêt d'alimentation et d'hydratation peut ainsi être décidé avec pour intention de faire mourir (Le Monde, 19 avril 2008). C'est bien ainsi que l'avait interprété l'équipe médicale d'Hervé Pierra qui refusait d'obtempérer à la demande des parents, comme de nombreux soignants français d'ailleurs, si l'on en croit l'article cité.
Stratégie pro-euthanasie
Tout ceci n'est pas le fruit du hasard. La question brûlante du retrait de l'alimentation médicale est depuis longtemps une ressource stratégique pour aboutir à une dépénalisation de l'euthanasie. Dès septembre 1984, l'australienne Helga Kube, au cours de la Ve Conférence mondiale des associations pour le droit de mourir dans la dignité, dévoile publiquement le plan de bataille à observer pour légaliser l'euthanasie dans des pays culturellement réfractaires : Si nous pouvons obtenir des gens qu'ils acceptent le retrait de tout traitement et soin, spécialement l'arrêt de toute nutrition, ils verront quel chemin douloureux c'est de mourir et accepteront alors, pour le bien du malade, l'injection létale .
On ne s'étonnera pas aujourd'hui que l'ADMD fasse main basse sur ce détail de la loi française. Marie Humbert également a toujours joué sur ce tableau dans son combat pro-euthanasie en stigmatisant les faux-semblants de la loi Leonetti : Peut-on tolérer, sans avoir honte, la souffrance de ceux que la médecine a maintenus artificiellement [...] ? Doit-on débrancher et refermer la porte ? Peut-on les laisser mourir de faim ou de soif sous le regard de leurs parents, comme Terry Schiavo aux Etats-Unis ? C'est pourtant ce que prévoit la loi Leonetti, votée le 22 avril 2005, qui protège les médecins laissant mourir leurs patients (Le Figaro, 20 mars 2006). La stratégie des militants pro-euthanasie vise ici à dénoncer l'ambiguïté de la loi pour faire le choix mortel de l'euthanasie légale sensée y remédier. Le législateur se retrouve pris au piège d'approximations qui font le jeu de ses adversaires. Il s'est donné en quelque sorte le bâton pour se faire battre et ne peut aujourd'hui que constater les dégâts. Avec beaucoup d'à-propos, Xavier Mirabel, président de l'Alliance pour les droits de la vie, qualifie cette tendance lourde de la législation d'euthanasie à la française dans l'avant-dernière livraison de Liberté politique (n° 39, hiver 2008).
Peut-on espérer que la nouvelle mission d'évaluation qui vient de débuter ses consultations remette sur la table des discussions cet aspect controversé de la loi ? Jean Leonetti vient de déclarer à la journaliste qui lui demandait son sentiment sur l'affaire Pierra : Maintenir durant plusieurs années une nutrition artificielle chez une personne en état végétatif prolongé, est-ce un traitement disproportionné ? À mon sens, oui... (La Croix, 7 avril 2008).
*Pierre-Olivier Arduin est responsable de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.
[1] Respecter la vie, accepter la mort , Rapport n. 1708, tome 1, Assemblée nationale, juillet 2004, p. 250. On ne voit pas très bien à quels théologiens se réfère le rapport parlementaire, le magistère de l'Église catholique se distinguant par une remarquable continuité doctrinale. Le dernier document en date est l'avis éthique rendu en août 2007 par la Congrégation pour la doctrine de la foi, approuvé par Benoît XVI, qui conclut que l'administration de nutriments et d'eau, même par voie artificielle, constitue en règle générale un moyen ordinaire et proportionné de maintien de la vie. Elle est donc obligatoire dans la mesure et jusqu'au moment où elle montre qu'elle atteint sa finalité propre qui consiste à hydrater et nourrir le patient (Réponses et commentaire aux questions de la conférence épiscopale des États-Unis concernant l'alimentation et l'hydratation artificielles).
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| Sujet: Re: Alimentation hydratation fin de vie 11.02.12 17:41 | |
| Analyses Euthanasie : après l’avis de Rome, les ambiguïtés intenables de la loi française L’administration de nutriments et d’eau, même par voie artificielle, constitue un soin de base, naturel, ordinaire et proportionné, toujours dû au malade. Cette règle générale s’applique de manière éminente dans les cas cliniques où les patients sont dans un « état végétatif chronique ou persistant ». C’est l’avis éthique que vient de rendre public la Congrégation pour la doctrine de la foi et qui a été approuvé par Benoît XVI (cf. texte) .
Ce document magistériel fait suite à l’interpellation de la Conférence épiscopale des États-Unis qui demandait à Rome un éclairage moral sur le statut obligatoire ou non de l’alimentation et de l’hydratation artificielles (en juillet 2005). La bataille idéologique autour de l’affaire Terry Schiavo avait jeté un doute chez certaines personnalités catholiques concernant la qualification de cet acte.
Le commentaire qui accompagne les réponses du préfet, le cardinal William Levada, est remarquable à plus d’un titre et met en lumière les ambiguïtés intenables de la loi française sur la fin de vie, dite loi Léonetti.
L’alimentation : un soin, pas un traitement Celle-ci reconnaît en effet au patient la liberté de refuser tout traitement, comme l’exprime le nouvel alinéa de l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique, dans lequel les mots « un traitement » sont remplacés par « tout traitement ». Or, selon le Rapport de la mission parlementaire et l’exposé des motifs de la loi, l’alimentation artificielle est mise sur un plan strictement identique à celui de n’importe quelle thérapeutique active destinée à lutter contre une défaillance organique. Ainsi, les limitations et les arrêts de traitement « s’appliquent à tout traitement, quel qu’il soit, y compris l’alimentation artificielle. Celle-ci est aujourd’hui en effet considérée par des médecins, par des théologiens et par le Conseil de l’Europe comme un traitement [1] ».
Ce qui très grave sur le plan éthique est le fait de rapprocher alimentation artificielle et traitement médical sans plus de réflexion pour ensuite en déduire que, la loi du 22 avril 2005 permettant les arrêts de traitement, celui de l’alimentation assistée irait de soi. À l’époque, cet aspect de la loi fut l’objet d’une confrontation dans les rangs de l’Assemblée au sein même de la majorité. Certains députés souhaitaient que la suspension de l’alimentation artificielle soit envisagée sur le modèle des protocoles euthanasiques d’arrêts d’alimentation joints à des sédations très puissantes jugés extrêmement efficaces, tels qu’ils sont pratiqués dans l’État américain de l’Oregon. Mais d’autres avaient déposé un amendement opposé : « L’alimentation et l’hydratation, même artificielles, sont des soins ordinaires, proportionnés, dus à la personne et qui ne peuvent être considérés comme des traitements », lequel ne fut pas retenu. C’est en effet vers le premier point de vue que semblent s’être ralliés les rédacteurs de la loi, Jean Leonetti en tête, confirmant que le cas de Vincent Humbert aurait pu être « traité », selon son expression, par un arrêt d’administration des nutriments accompagné de soins palliatifs de qualité visant à lui épargner toute souffrance.
Nutrition médicale C’est aller un peu vite en besogne et ignorer le fait que donner à manger est l’acte premier de responsabilité à l’égard d’autrui et représente un geste naturel de reconnaissance de son humanité. Par ailleurs, si la procédure est en effet initialement médicale, son but est de répondre à un besoin élémentaire de nourriture qui permet en définitive la dispensation d’un soin de base ; une fois la sonde posée, l’alimentation devient de l’ordre de la gestuelle des soins puisqu’elle peut être assurée par des non professionnels, en particulier par la famille à qui l’on aura transmis le savoir-faire requis. Certains éthiciens anglo-saxons proposent d’ailleurs de ne plus parler d’alimentation artificielle mais de nutrition médicale pour insister sur le caractère ordinaire de ce soin pour la conservation de la vie. De plus, si la dialyse rénale, par exemple, remplace une fonction physiologique perdue ou momentanément défaillante, le recours à l’alimentation permet de pallier un défaut de la déglutition sans que cela n’équivaille à une incapacité d’assimiler les nutriments.
L’alimentation artificielle ne cherche pas tant à contrecarrer une pathologie organique touchant cette fonction qu’à pallier plutôt un problème simplement mécanique et donc à répondre à un besoin de base. D’ailleurs, la Congrégation pour la doctrine de la foi le précise très clairement : « On n’exclut pas qu’en cas de complications, le patient ne réussisse pas à assimiler les nutriments et la boisson : leur administration devient alors totalement inutile. » Dans cette éventualité, cet acte n’atteint plus « sa finalité propre qui consiste justement à hydrater et à nourrir le patient », situation que les soignants peuvent rencontrer lorsque le pronostic vital est engagé à très court terme.
L’omission euthanasique D’autre part, explique le cardinal Levada, suspendre ou ne pas entreprendre cet acte de nutrition correspond à une attitude clairement euthanasique. L’intention de laisser advenir une mort par inanition contre laquelle on pourrait lutter avec la perspective d’un succès durable au plan du maintien de la vie, et donc ne pas vouloir l’empêcher alors qu’on le pourrait, nous fait basculer dans l’omission euthanasique. La mort, qui est la conséquence inéluctable d’un arrêt de l’administration de nutriments et d’eau chez un patient qui ne peut s’alimenter seul, est voulue pour elle-même, avec l’intention de supprimer une personne dont on juge la qualité de vie inacceptable. Y consentir revient à accomplir un acte de nature euthanasique. En aucun cas on ne peut parler d’acharnement thérapeutique et de traitement disproportionné car justement, nous dit la Congrégation, l’alimentation assistée peut être poursuivie longtemps sans effet secondaire majeur et avec une grande efficacité pour soutenir la vie du patient. C’est exactement la définition d’un soin proportionné !
L’intelligence du commentaire est d’ailleurs d’élargir le propos en incluant dans la catégorie de ces malades, outre les patients en état végétatif persistant, les personnes tétraplégiques, les personnes en état avancé de la maladie d’Alzheimer,... tous malades qui se trouvent dans la situation d’avoir « besoin d’une assistance continue pendant des mois, voire des années ». N’est-ce pas plutôt alors la vie de ces malade qui nous semble « disproportionnée » et « inutile » en raison de leur faible « qualité » ? Devant le vieillissement inéluctable de la population et le coût grandissant des soins de nursing, la « charge » de ces malades ne va-t-elle pas nous apparaître rapidement excessive ? Et d’ailleurs, si un patient très atteint sur le plan neurologique était capable de s’alimenter par la bouche, nous poserions-nous la question de lui supprimer tout apport calorique pour précipiter sa mort ?
Le bioéthicien canadien Hubert Doucet ne peut que le constater : « Cette position se fonde sur la reconnaissance que dans ce cas, la mort est meilleure que la vie. Elle porte en soi une dynamique de discrimination et d’euthanasie. Si la condition mentale et physique délabrée est à l’origine de la prise de décision, n’est-ce pas de la discrimination ? Si cette personne est privée de nourriture parce que sa mort apparaît moins misérable que sa vie, c’est une forme directe d’euthanasie. Les conséquences sociales d’une telle position sont extrêmement inquiétantes pour de nombreuses catégories de malades comme ceux atteints de la maladie d’Alzheimer. Dans ce cas, il n’y a pas de différence entre tuer et laisser mourir quelqu’un ».
Dignité ontologique Face à ceux qui doutent de la valeur de la vie de ces patients, la Congrégation pour la doctrine de la foi réaffirme le primat de la dignité de la personne. Non pas une dignité qui serait en fin de compte une qualité dépendant de certaines caractéristiques physiques ou intellectuelles comme le laisse accroire l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Mais une dignité ontologique, inconditionnelle, renvoyant à la valeur absolue accordée à la personne humaine. « Nul n’a le pouvoir de renoncer à sa dignité car elle ne dépend ni de l’idée que l’on se fait de soi-même, ni du regard posé par autrui [2] » ainsi que l’énonce le philosophe Jacques Ricot.
On voit poindre ici l’extrême cohérence de l’éthique réaliste et personnaliste avancée par le Magistère. Qu’un être humain n’exerce pas encore ses facultés cognitives, tels l’embryon, ou qu’il ne réussisse plus à les exercer pour des raisons accidentelles, tel le patient en état végétatif chronique, il garde toute la capacité d’activer ces activités supérieures : « Un homme, même empêché dans l’exercice de ces fonctions les plus hautes, est et sera toujours un homme, et ne deviendra jamais un végétal ou un animal », avait souligné Jean-Paul II dans un discours du 20 mars 2004.
Stratégie Cette question de l’alimentation et de l’hydratation assistées est en fait une ressource stratégique et un véritable cheval de Troie pour obtenir la dépénalisation de l’euthanasie.
Dès septembre 1984, la bioéthicienne australienne Helga Kube, lors de la Ve Conférence mondiale des associations pour le droit de mourir dans la dignité, avait ouvertement dévoilé la stratégie à tenir pour légaliser l’euthanasie dans les pays culturellement réticents :
« Si nous pouvons obtenir des gens qu’ils acceptent le retrait de tout traitement et soin, spécialement l’arrêt de toute nutrition, ils verront quel chemin douloureux c’est de mourir et accepteront alors, pour le bien du malade, l’injection létale (traduction personnelle). »
Ceux qui veulent aller plus loin et modifier la loi Leonetti se sont bien évidemment engouffrés dans cette brèche. Quelques jours après que le non-lieu sur l’affaire Humbert a été prononcé, le docteur Chaussoy, un des principaux protagonistes, s’exprimait dans une tribune du Monde :
« Cette loi n’aurait été d’aucune utilité à Vincent. J’ose à peine raconter l’unique solution qu’elle aurait à lui proposer : il s’agirait pour ne pas déroger à l’inaltérable “Tu ne tueras point” et pour ne pas déranger notre confort moral, de cesser de le nourrir. Le laisser mourir de faim, mais entouré des siens, et surveillé par une équipe médicale. Avec patience et amour, sans doute ? A quoi ressemble une société qui se satisferait de pareils faux-fuyants ? Et que reste-t-il d’humanité dans cette proposition-là ? » (Le Monde, 16 mars 2006.)
Marie Humbert pouvait renchérir quelques jours plus tard en stigmatisant la « mort sale » qu’autorise la nouvelle législation :
« Peut-on tolérer, sans avoir honte, la souffrance de ceux que la médecine a maintenus artificiellement [...] ? Doit-on débrancher et refermer la porte ? Peut-on les laisser mourir de faim ou de soif sous le regard de leurs parents, comme Terry Schiavo aux États-Unis ? C’est pourtant ce que prévoit la loi Léonetti, votée le 22 avril 2005, qui protège les médecins laissant mourir leurs patients » (Le Figaro, 20 mars 2006).
Une loi, donc, au service de médecins assez barbares pour préférer faire mourir de faim des malades plutôt que de leur injecter la dose létale qui leur aurait permis de partir en douceur, tout cela parce que les soignants français ne voudraient pas avoir les mains sales. Marie Humbert pouvait logiquement conclure : « Ce qu’il faut, c’est inscrire dans la loi une exception d’euthanasie (id.) ».
La programmation prochaine par TF1 du film Marie Humbert, le choix d’une mère dont la direction précise qu’il a pour vocation de « prendre à témoin la France entière sur la formidable histoire d’amour de cette mère qui a tout plaqué pour se vouer à son fils et qui a pris tous les risques pour mettre à exécution sa demande d’en finir » pourrait bien jouer sur ce tableau.
Pierre-Olivier Arduin dans Decryptage
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| Sujet: Re: Alimentation hydratation fin de vie 16.02.12 13:25 | |
| Société
"Son souffle s'est éteint. Je lui ai demandé pardon pour ce qu'elle avait subi" TEMOIGNAGE | | 15.02.12 | 11h02 • Mis à jour le 15.02.12 | 11h10
Sa mère est morte il y a six ans, mais Bernard Bruyère, 67 ans, ingénieur à la retraite, parle encore des conditions de son décès avec souffrance. En 2011, après l'affaire Bonnemaison (ce médecin soupçonné d'avoir provoqué la mort de patients), il avait écrit au courrier des lecteurs du Monde pour témoigner et s'insurger contre la loi Leonetti qu'il juge "inappropriée et indigne". "Maman avait 82 ans, elle était atteinte de la maladie d'Alzheimer depuis huit ans, et arrivait au stade ultime. Elle vivait prostrée, inconsciente, accompagnée par mon père, 84 ans. Elle avait des visites régulières de son généraliste, d'un kiné et d'une infirmière.
Le 2 mai 2006, maman n'arrivait plus à déglutir, mon père ne pouvait plus la nourrir. Elle souffrait d'une infection urinaire et d'une embolie pulmonaire. Le généraliste a décidé de l'hospitaliser, malgré la volonté de papa de la garder à domicile. Elle est alors réhydratée; l'embolie et l'infection sont traitées. Elle était mourante, ils la retapent. Mais à quoi bon? Si elle était restée chez elle, elle aurait sans doute pu mourir rapidement. Nous aurions évité ces 22 jours… Maman a alors été transférée en gériatrie. Elle n'était pas nourrie, elle avait juste des perfusions de sel et de potassium pour éviter l'empoisonnement du sang. Le 10 mai, la chef de service nous a convoqués, mon père, mon frère, ma sœur et moi. Elle nous a présenté deux options. L'une consistait à continuer "l'acharnement thérapeutique" – c'étaient ses mots –, mais de manière plus coercitive: pour la nourrir, il fallait injecter de force des liquides caloriques dans l'œsophage ou perforer l'estomac et l'abdomen. L'autre était un transfert en soins palliatifs.
La nuit qui a suivi a été atroce. Je nous vois encore autour de la table. Mon père a dit d'emblée qu'on ne pouvait pas la faire souffrir. J'étais de cet avis. Mon frère a estimé que tant qu'il y avait de la vie, il y avait de l'espoir, et qu'il fallait donner cette chance à maman en la nourrissant. Ma sœur est restée neutre. Papa et moi étions donc majoritaires. Mon frère nous a reproché de vouloir la laisser mourir. Puis il a changé d'avis.
La chef de service nous a dit que nous avions pris la bonne décision, que nous aurions infligé un supplice à maman. Mais aucun lit de soins palliatifs n'a été trouvé. Maman est restée à la polyclinique. Ils se sont organisés pour créer une mini-unité palliative. Il ne devait y en avoir que pour quelques jours.
Les soins ont d'abord consisté à poursuivre les perfusions, à laver maman, qui restait absente et prostrée. Des patchs de morphine étaient posés. On ne savait pas si elle souffrait. Un, deux, trois jours ont passé. Nous étions présents à tour de rôle, 24 heures sur 24. Puis mon frère a dit qu'il ne pouvait pas continuer, il ne supportait pas qu'on la laisse mourir de faim et de soif . J'ai assumé toutes les nuits suivantes. Il y en a eu onze.
Le 13 mai, les sondes et l'aide respiratoire ont été enlevées pour éviter toute prolongation – on ne nous l'a pas dit clairement, mais nous étions passés au stade de l'euthanasie passive. J'ai demandé combien de temps cela allait durer. On m'a répondu: au maximum quatre ou cinq jours. Maman était inconsciente. Nous lui expliquions que nous faisions cela pour son bien, mais nous comprenait-elle? Le 18 mai, dans la soirée, maman était toujours là. Elle a eu des mucosités dans la gorge qui l'étouffaient, une respiration difficile. Ses yeux m'imploraient – du moins je le croyais. La chef de service était absente. J'ai appelé l'infirmière. Elle a aspiré les glaires. A son retour, le médecin m'a dit que c'était une erreur, qui aurait pour effet de prolonger sa survie. Je me suis senti responsable.
Le 24 mai, à 23 h 30, son souffle s'est éteint. J'étais en train de faire un sudoku et lui expliquais comment ça marchait – je lui lisais aussi des poèmes pour qu'elle parte paisiblement. Nous avons alors eu un quart d'heure rien qu'à nous. Je lui ai demandé pardon pour tout ce qu'on venait de lui faire subir. Puis j'ai prévenu l'infirmière.
Avec le recul, je me dis que généraliste, urgentiste… chacun a fait son boulot. Chacun a cru bien faire. Mais je reste en colère contre le corps médical et contre le législateur. Je garderai toujours cette image: on a laissé maman mourir de faim et de soif. Elle qui a tenu si longtemps est peut-être un cas extrême. Mais, pour moi, elle a vécu un acharnement thérapeutique. On lui a fait subir des soins palliatifs, il n'y a rien de plus hypocrite.
Depuis, je ne cesse de m'interroger. La loi Leonetti, j'étais d'accord avec son principe, mais en fait, cela revient à ne rien faire, à poser des antidouleurs et une poche, car le corps se vide. Avec une personne consciente, cela permet d'échanger sereinement. Mais là, ce n'était pas possible. Maman était à l'état végétatif. Il n'y avait qu'à attendre qu'elle meure.
Je pense que nous sommes nombreux à avoir vécu cela. Mais on continue en France à s'abriter derrière de bons sentiments. Oui, je suis favorable à une évolution législative. Régulièrement, néanmoins, je me dis : c'est bien beau de plaider pour l'euthanasie active, mais qu'aurions-nous fait si cela avait été autorisé ? Je crains que nous n'aurions pas réussi à prendre cette décision.
J'ai écrit une lettre à mes filles, je ne la leur ai pas encore donnée. Je ne veux pas que me soit et leur soit imposé la même chose. Je leur demande, si je me trouve dans une telle situation, de mettre en place une euthanasie active. Si c'est contraire à la loi, qu'elles demandent de l'aide et qu'elles fassent en sorte que cela ne se sache pas."
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| Sujet: Alimentation hydratation fin de vie 23.02.13 19:18 | |
| BLOG DE MICHEL CAVEY L’alimentation en fin de vie : quelques réflexions Inédit mercredi 19 septembre 2007 par Michel Lorsque dans le milieu des soins palliatifs nous abordons la question de l’alimentation en fin de vie, il n’est pas difficile de dégager un consensus : tout le monde ou presque s’accorde à dire que le maintien de cette alimentation est souvent une mesure d’acharnement thérapeutique, et qu’il est légitime de l’interrompre. Et la loi Léonetti donne dans ce sens des indications claires. Le problème est que le consensus n’est solide qu’en apparence, et qu’il n’est pas besoin de creuser bien profond pour discerner que les choses sont nettement plus complexes. LA LOI LEONETTI : Contrairement à ce qu’on dit, la loi Léonetti n’est absolument pas claire sur cette question. D’ailleurs le texte de la loi proprement dit n’en dit pas un mot Voir http://www.legifrance.gouv.fr/imagesJOE/2005/0423/joe_20050423_0095_0001.pdf. Cependant il y a des choses certaines. Non pas deux, mais trois. - La première c’est qu’en effet en remplaçant, dans l’article L-1111.4 du Code de la santé publique, l’expression : "un traitement" par "tout traitement", la représentation nationale visait l’alimentation artificielle et l’hydratation. - La seconde c’est que la représentation nationale dans sa majorité a estimé que l’alimentation artificielle peut être arrêtée (du moins dans les situations auxquelles nous pensons tous). - Mais la troisième, c’est que la représentation nationale ne l’a pas dit. Reprenons l’histoire. La commission Léonetti se constitue ostensiblement dans les suites de la mort de Vincent Humbert. Ce cas posait de manière suraiguë la question de l’arrêt de soins chez le malade non en fin de vie. Dans ce contexte la question de l’alimentation artificielle est inévitable. Or ce qu’il faut constater, c’est que le rapport de la commission parlementaire n’en parle pas tellement. Il faudrait tout relire mais le seul passage un peu explicite est l’audition du M. Carlos de Sola, chef du service de bioéthique au Conseil de l’Europe. Relisons ce qui est dit : L’exorde de M. de Sola est clair : Je voudrais tout d’abord vous dire que n’étant pas un expert en la matière, je vous présenterai donc plutôt quelques idées simples en ma qualité de Chef du service de bioéthique du Conseil de l’Europe et non pas en tant que représentant de ce dernier. Donc il ne parlera qu’en son nom propre, et encore, avec réserves. Plus loin il ajoute : Tant qu’il y a un traitement - même une alimentation ou une hydratation assistée -, on peut dire que l’on se situe dans le domaine médical. L’alimentation assistée étant à long terme invasive et très douloureuse, on peut parfois se demander si son maintien correspond à l’intérêt du patient. Mais nous sommes là, toujours, dans un contexte individuel que l’on ne pourra pas nécessairement transposer à d’autres cas. Donc quand il y a un traitement médical, il me semble inopportun - voire dangereux - de légiférer. Je vous rappellerai, à cet égard, une phrase de Portalis, l’un des pères du code civil : « Les lois inutiles nuisent aux lois nécessaires. ». Comment peut-on dire que M. de Sola prend une position ferme ? Le Président de séance : Sur le plan européen l’alimentation et l’hydratation assistée sont-elles considérées comme un traitement ? M. de Sola : Oui dans la plupart des pays. On est loin d’une prise de position du Conseil de l’Europe. En d’autres termes nous avons souvent lu que ce Conseil considère l’alimentation comme un traitement. Pourtant le texte dit exactement que le Conseil de l’Europe ne dit rien. Et quand on parle du rapport de la commission Léonetti, c’est pourtant à cette audition de Carlos de Sola qu’on se réfère, et ce dernier ne donne même pas très explicitement sa propre position. Il faut que le chat soit bien maigre pour qu’on en vienne à de telles approximations. Il y a eu des débats parlementaires, et il vaut la peine de les lire, tant sur cette question ils ont été houleux. Puis il y a le texte de loi. Et, répétons-le, il dit (article 3) : "Dans la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, les mots : « un traitement » sont remplacés par les mots : « tout traitement »." C’est tout. Alors il y a un double problème. Le premier, c’est qu’une partie du débat était de savoir si l’alimentation artificielle est un soin ou un traitement. Le rapport n’a pas tranché cette question, la loi encore moins. Nous verrons plus loin qu’il nous faudrait la reprendre une bonne fois pour toutes (et c’est pour en montrer l’urgence que le détour par le texte de loi est nécessaire). Le second c’est qu’en fait la seule chose que nous avons c’est l’exposé des motifs : "Au surplus, en autorisant le malade conscient à refuser tout traitement, le dispositif viserait implicitement le droit au refus à l’alimentation artificielle, celle-ci étant considérée par le Conseil de l’Europe, des médecins et des théologiens comme un traitement." Tout de même, voici une formulation bien étrange : non seulement parce que, comme on l’a vu, le Conseil de l’Europe n’a rien considéré du tout. Mais surtout parce que l’emploi de ce conditionnel suppose une sérieuse dose d’humour : voilà que le législateur se demande s’il n’aurait pas eu des arrières-pensées. Voilà qui peut sembler un peu insuffisant. L’évidence au contraire, c’est que le silence de la loi sur cette question est totalement délibéré. La loi n’en parle pas et n’a pas voulu en parler. Elle n’a pas voulu en parler d’une part parce que, comme l’a si bien dit Carlos de Sola, cette question ne peut être réglée par la loi. Elle n’a pas voulu en parler aussi parce qu’il suffit de lire les débats parlementaires : le prix à payer pour obtenir le vote du texte à l’unanimité était qu’on ne tranche pas ; c’est pourquoi dans l’exposé des motifs on mentionne que tout de même il est fait allusion à la position de certains théologiens. Donc la seule réalité c’est que la question n’est pas tranchée. On a des raisons de penser que majoritairement la représentation nationale était pour considérer l’alimentation comme un traitement, et c’est tout. Mais la loi fait silence, et ce silence est signifiant. Quant à la jurisprudence elle n’est pas faite, loin de là. D’une manière plus générale il n’est pas sûr que les progrès soient aussi importants que nous voulons le croire. Ainsi l’exposé des motifs dit : "L’article L. 1111-4 du code de la santé publique reconnaît d’ores et déjà à tout malade un droit au refus de traitement. Toutefois celui-ci est enserré dans d’étroites limites, puisque si le refus ou l’interruption de traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour le convaincre d’accepter les soins indispensables. Or, tant la prise de conscience des problèmes soulevés par l’interprétation de cet article que les enseignements tirés de ses propositions sur le renforcement des droits du malade en fin de vie ont convaincu la mission de la nécessité de préciser les droits du malade. Aussi la présente proposition de loi complète-t-elle la deuxième phrase de l’article L. 1111-4. Dans la situation où le malade conscient, qui n’est pas en fin de vie refuserait un traitement mettant sa vie en danger, le médecin pourrait faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade devrait réitérer sa décision après un délai raisonnable. Tant le second avis médical éventuel que le déroulement d’un délai raisonnable de réflexion et l’obligation de réitération de la décision constitueraient de nouvelles garanties procédurales non négligeables." Ce qui est clairement dit, c’est que la loi Léonetti complète la loi Kouchner ; elle ne la réforme pas, et elle s’est bien abstenue de le faire : ses articles disent tous : "A l’article xxx du Code le la Santé Publique, il est inséré...", jamais : "est abrogé". De la sorte, l’obligation qui nous est faite par la loi Kouchner de "tout mettre en œuvre pour convaincre le malade d’accepter les soins indispensables", cette obligation n’est en rien annulée. On a de solides raisons de penser que la formulation de la loi Léonetti traduit un changement de conception, mais elle n’en dit rien de précis. Ici encore il faudra attendre la jurisprudence. Avec son lot de surprises et de combats. Cela ne doit pas déranger, au contraire : nous parlons de situations qui sont toutes singulières, et que le singulier ne relève pas du législatif mais du judiciaire. Carlos de Sola ne dit pas autre chose. SOIN OU TRAITEMENT ? Bref, notre propos est de savoir si nous sommes aussi au clair que nous ne le disons sur la question éthique de l’alimentation artificielle. A lire la manière dont nous formulons nos questions, un certain scepticisme n’est pas hors de propos. Ce que nous disons, c’est que la loi Léonetti assimile l’alimentation artificielle à un traitement et non à un soin, et que dans ce cas elle permet d’arrêter cette alimentation si le malade l’exige. Etrangement, on ne s’avise pas que cela pose trois questions. Première question : A-t-on réellement lu ce qui est écrit ? Dans l’exposé des motifs : "Aussi la présente proposition de loi complète-t-elle la deuxième phrase de l’article L. 1111-4. Dans la situation où le malade conscient, qui n’est pas en fin de vie refuserait un traitement mettant sa vie en danger, le médecin pourrait faire appel à un autre membre du corps médical." et dans l’article 5 : "Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale", etc. Ce qui est écrit, ce n’est pas que le malade a le droit de se mettre en danger en refusant un traitement ; si c’était le cas on lirait : "Dans la situation où le malade conscient, qui n’est pas en fin de vie refuserait un traitement, virgule, mettant sa vie en danger". Et il n’y a pas de virgule. Ce qui est écrit, c’est que le malade a le droit de refuser un traitement si ce dernier le met en danger. Certes, tout le monde avait compris de quoi il retourne, et il ne faut voir dans cette anomalie qu’une simple inadvertance. En somme, la loi est écrite par des gens qui ne relisent pas leurs textes. Curieuse erreur, surtout qu’il a fallu s’employer pour la commettre : la loi Kouchner avait parfaitement rédigé l’article L 1111 : "Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger". et que ce dont le texte nous parle ici, c’est précisément de la question de l’alimentation artificielle, qui a donné lieu à de si vifs débats. Donc sur le point précis dont nous parlons, sur la question centrale de la loi Léonetti, sur la question qui concernait l’histoire de Vincent Humbert, le législateur a commis une monumentale imprécision. Passons, puisque tout le monde avait compris. Seconde question : Quelle est la conséquence de ce que nous disons ? Nous disons que Carlos de Sola, ou le Conseil de l’Europe, ou la loi Léonetti, peu importe, considère l’alimentation artificielle comme un traitement, et non comme un soin, du coup nous voici tirés d’affaire, car si c’est un traitement alors la loi donne au malade la liberté de le refuser. Mais si les mots ont un sens, nous disons par ce raisonnement que si l’alimentation artificielle était un soin, le malade n’aurait pas la liberté de la refuser. Nous disons que le malade est libre de refuser ses traitements, mais pas ses soins. Car si ce n’était pas cela que nous disons, que nous importerait de savoir si l’alimentation artificielle est un soin ou un traitement ? Bien entendu personne ne pense cela. Ma remarque est juste sur la forme, mais en réalité nous sommes tous d’accord pour dire que notre rôle est d’être au service de la stricte volonté du malade, que celle-ci s’exprime relativement aux soins ou aux traitements ; assurément je force le propos. Mais je ne le force pas : nous avons réellement dit que le problème de l’alimentation artificielle ne se pose pas de la même manière selon que c’est un soin ou un traitement, et que la question du désir du malade ne se pose pas de la même manière. Je ne suis pas sûr que nous soyons tous d’accord ; il suffit de considérer comment, chez les meilleurs d’entre nous, les attitudes ne sont pas les mêmes selon qu’on parle de soin ou de traitement : quand le malade refuse de prendre tel ou tel comprimé, toute l’équipe est prête à débattre et à respecter sa liberté. Mais qu’il s’avise de refuser la toilette et la même équipe saura déployer des trésors de douce persuasion. Qu’est-ce qui se joue là ? Une conception éthique, ou bien quelque chose qui interroge énigmatiquement ce qui fait le fond de notre être-soignant ? Il n’y a pas si longtemps nous avions dans le service un malade, cancer du foie, avec qui nous avions établi des directives anticipées. Aux termes de ces directives le malade disait refuser toute thérapeutique à l’exception du traitement de son diabète, et se réservait le droit de demander une sédation quand il voudrait échapper au spectacle de sa propre dépendance. Quand il a demandé cette sédation, j’ai eu cette discussion avec une de nos infirmières, la plus chevronnée du service sans doute : - (moi) Quand il sera sous sédation, croyez-vous que nous devrons lui faire de l’insuline ? - (elle) Non, je ne pense pas. - Et nous ne surveillerons donc plus ses glycémies ? - Si, tout de même. - Pour quoi faire ? - Ben... s’il fait une hypoglycémie... - Vous le resucreriez ? - Oui, sinon j’aurais l’impression de déserter ma fonction de soignante. Qu’est-ce qui se joue, là, dans l’imaginaire des soignants ? Et au-delà de cette histoire à la fois emblématique et hors sujet, dans notre imaginaire à nous, n’y aurait-il donc rien ? Sans doute, dira-t-on ; mais enfin, sur la différence entre soin et traitement, tout le monde est d’accord. Et nous sommes tous d’accord là-dessus. Est traitement tout ce qui vise à lutter contre les maladies, est soin tout ce qui concourt au bien être. Le traitement est ce qui concerne la pathologie, le soin est ce qui concerne la physiologie. Le soin est ce dont parle Virginia Henderson. Le traitement c’est le curing, le soin c’est le caring. C’est vrai : dans l’immense majorité des cas, il n’y a même pas lieu de débattre. L’inconvénient, c’est qu’entre soin et traitement il y a tout de même une zone de recouvrement, une zone grise, une zone indécidable, et que les soins palliatifs se définiraient assez bien comme la discipline qui s’occupe de cette zone grise. Et que du coup c’est au quotidien que nous avons à gérer cette question lancinante : ce que je fais, est-ce que je le fais parce que c’est un soin, ou est-ce que je le fais parce que c’est un traitement ? Est-ce qu’on me paie pour traiter ou pour soigner ? Est-ce qu’on me paie pour donner des soins ou pour prendre soin ? Ou pour les deux ? Et j’en rends compte comment ? Oh, sur le papier, pas de problème, et il ne serait pas si difficile de trouver une position d’unanimité. Mais au lit du malade ? Toujours est-il que je ne vois pas comment nous pourrions aborder d’un œil relativement frais la question de l’alimentation artificielle en fin de vie tant que nous n’aurons pas dit pourquoi nous avons été si rassurés de nous être entendu dire que c’est un traitement. Troisième question : Sommes-nous tous d’accord pour penser que l’alimentation artificielle est un traitement et non un soin ? Sans aucune restriction ? Ou bien s’agit-il seulement de l’alimentation en fin de vie ? Prenons l’exemple, latéral, de la gériatrie : l’alimentation, c’est un soin. Mais si on veut traiter une dénutrition, la seule manière de procéder c’est de la considérer comme une maladie dont l’alimentation est le traitement. Quand la vieille dame fait une pneumopathie, on sait qu’on améliore nettement le pronostic avec une petite semaine de renutrition par sonde. Ou quand elle fait une escarre, on sait que les deux seuls traitements incontournables sont les posturations et les calories. Pourtant tout le monde dit que le traitement, c’est le pansement. Alors qu’en pratique le pansement c’est du soin, d’ailleurs on parle de soins d’escarre. Allons plus loin : le pansement est-il un soin ou un traitement ? Tous les pansements ? On devrait donc dire sans doute : il y a des alimentations qui sont de l’ordre du soin, et d’autres qui sont de l’ordre du traitement. Soit. Mais quand est-ce du soin ? Quand est-ce du traitement ? Et quelles sont les procédures que nous mettons en œuvre au quotidien pour en décider ? Dirons-nous que l’alimentation est du soin tant qu’elle vise à maintenir un état nutritionnel qui n’a pas de raison particulière de se dégrader, et que c’est du traitement quand le pronostic dépend d’elle ? Alors il y a des alimentations orales qui sont des traitements. Et nous connaissons tous des alimentations à la cuiller qui sont des mesures d’acharnement thérapeutique. Comment discutons-nous de manière éthiquement acceptable de l’équilibre nutritionnel du dément ? Ou bien dirons-nous que l’alimentation est du soin tant qu’elle ne nécessite pas le recours à des moyens inhabituels ? Dirons-nous qu’elle devient un traitement quand on passe à la sonde gastrique ou à l’alimentation parentérale ? C’est une bonne manière de distinguer, en effet, mais seulement dans le cas général. Car là aussi il y a des zones de recouvrement, et je redis que la pratique des soins palliatifs concerne précisément ces zones où rien n’est clair. Et si nous disons que le traitement commence quand on sort les techniques d’alimentation entérale ou parentérale, alors nous allons devoir justifier en éthique ce changement de terminologie et de conception. Il y aura du travail. On n’en serait pas là si nous nous étions bornés à dire que le malade est libre de refuser tout ce qu’on lui propose, qu’il s’agisse de soin ou de traitement, et que la seule question qui se pose est celle du rapport bénéfice/inconfort. Du coup on en vient à se demander si la réalité n’est pas autre : est soin ce qui ressemble à un soin, est traitement ce qui ressemble à un traitement. L’alimentation artificielle commence quand il y a des tuyaux et des poches de produits spéciaux ayant obtenu une AMM. Et une bonne part de la distinction se jouerait dans l’imaginaire des soignants, des patients, des entourages. Pour subodorer cela il suffit de réfléchir à l’utilisation des nutripompes. Il y a des médecins qui disent : il faut que les nutriments soient déversés lentement dans l’estomac, pour que la résorption en soit régulière et optimale ; Ceux-là utilisent des nutripompes. Cette position fait penser à une alimentation-traitement. Et puis il y en a d’autres (j’en suis) qui disent : un estomac est fait pour se vider et se remplir. Restons proches de la physiologie, et passons les poches d’alimentation à bonne vitesse. Ceux-là n’utilisent pas de nutripompes. Cette position fait penser à une alimentation-soin. Ce qui fait l’intérêt de cette réflexion, c’est que les uns comme les autres seraient bien en peine de fournir un dossier scientifique solide à l’appui de leur thèse, et que de toute façon la nutripompe n’a aucun intérêt pour passer les volumes de calories que nous passons : il y a la pesanteur, qui suffit amplement. Et il n’y a pas lieu de craindre un risque particulier : certes la nutripompe garantit un débit régulier : mais pourquoi fait-on confiance à la pesanteur pour n’importe quelle perfusion, et pas pour l’alimentation ? La nutripompe telle que nous l’utilisons est largement un outil symbolique. Alors, soin ou traitement, l’alimentation artificielle ? Non, décidément, le débat n’est pas clos. Pas dans les coins, pas là où se tapit ce qui précisément nous empêche de faire notre travail. Et tant que nous ne serons pas allés voir, dans ces coins, alors nous ne prendrons pas les bonnes décisions, et la loi Léonetti, au lieu de nous être un aiguillon pour des décisions éthiquement sages, ne nous sera qu’un parapluie. QUE FAISONS-NOUS ? Tout cela dit, mais seulement alors, on peut essayer d’en venir à la question pratique posée par l’alimentation en fin de vie (en n’oubliant pas cependant que l’exposé des motifs de la loi Léonetti indique que toute cette histoire est faite au sujet des malades qui ne sont pas en fin de vie, et non de ceux qui sont en unité de soins palliatifs). On peut en venir à cette question parce que nous avons un peu plus de chances qu’avant de ne pas nous laisser duper par nos non-dits et nos impensés. Et de l’impensé, il y en a. Je n’aime pas beaucoup les alimentations artificielles. Dans le cas standard du malade qui nous est adressé avec une espérance de vie de moins de quatre semaines, je n’ai jamais constaté de modification du pronostic vital ou fonctionnel avec ou sans alimentation. Il me smeble que cela implique des apports liquidiens plus nuisibles qu’utiles, sans parler du coût insupportable compte tenu de l’inefficacité, bref je milite toujours pour qu’on arrête cette alimentation. Et je dis au malade (chaque fois qu’on le peut) et à son entourage (toujours) : - Que les calories vont d’abord aux tissus jeunes, et que nourrir le malade c’est aussi nourrir le cancer. - Que si on voulait renutrir le malade, compte tenu du syndrome inflammatoire et des besoins du cancer, il faudrait des volumes que nous ne pouvons techniquement pas passer. - Que le pronostic n’est pas modifié selon qu’on nourrit le malade ou selon qu’on ne le fait pas. - Que le malade n’a plus le temps de faire une dénutrition majeure. - Que mourir de faim c’est grave quand on a faim. Et cette argumentation fonctionne très bien. Il n’y a pratiquement jamais de grosse discussion. Le problème est que rien de ce que je dis n’est validé. Les calories vont d’abord aux tissus jeunes, et nourrir le malade c’est aussi nourrir le cancer. Je n’ai jamais été un maître de la nutrition, mais je crois me souvenir que c’est un peu plus compliqué. Parlant comme je parle, je manie des images, des fantasmes, avec d’ailleurs quelque chose d’un peu alien sur quoi je ferais bien de réfléchir. Si on voulait renutrir le malade, compte tenu du syndrome inflammatoire et des besoins du cancer, il faudrait des volumes que nous ne pouvons techniquement pas passer. cela, par contre, semble assez solide. Et l’une des premières choses que nous avons à faire, c’est de nous demander : quel est l’objectif ? Nous avons périodiquement des débats pour savoir combien de calories il faut passer, si c’est 500 ou 1000, ou 1500. Surprenante conception : car si on décide de nourrir, alors on nourrit, il y a un métabolisme de base, il y a d’excellents marqueurs nutritionnels, bref la quantité de calories à passer est déterminée, soit par nos connaissances scientifiques, soit par des études multicentriques qui ont établi qu’en fin de vie la question se pose de manière spécifique. Et au lieu de cela nous disons que tout de même il faut un minimum, que ce qui est pris est pris, que c’est mieux que rien, qu’on ne peut pas le laisser comme ça, bref nous mobilisons tous les (pas très bons) arguments dont nous nous servons pour motiver nos soins, au lieu de nous baser sur les données actuelles de la science. Sur cette question que nous disons brûlante, au lieu d’utiliser les outils scientifiques qui sont à notre portée, nous en sommes encore à naviguer à l’estime ; même pas : au sentiment. En d’autres termes nous sommes tous d’accord pour dire que l’alimentation artificielle est un traitement, mais dans la pratique nous la manions comme un soin. À part quoi tout est clair. Le pronostic n’est pas modifié selon qu’on nourrit le malade ou selon qu’on ne le fait pas. Cela a déjà été publié, du moins chez le malade en fin de vie, et cela ne surprend guère. Mais il n’est pas sûr que ce point soit validé par beaucoup d’études en double insu contre placebo avec cross-over. Certes de telles études sont infaisables, et il faut donc bien s’en passer. Mais du coup on se retrouve à affirmer des choses qui ne sont pas certaines, et à dire non ce que nous savons mais ce que nous croyons. N’oublions jamais que quand nous n’avons pas les moyens de développer une pensée scientifique nous sommes conduits à nous rabattre sur l’autre pensée dont nous disposons : la pensée magique. Mais il y a d’autres points à considérer. Certains pensent par exemple que l’alimentation artificielle lui semblait diminuer la prévalence des douleurs. Cela demande vérification. Cependant si l’alimentation artificielle a des effets bénéfiques de cette nature, alors il faut mesurer cette efficacité et la mettre en rapport avec l’évolution des paramètres biologiques ; et s’il n’y a pas de lien entre l’évolution de ces paramètres et l’efficacité clinique, alors il faut dire pourquoi, et comment l’effet se produit. Bref, du bon gros travail scientifique. Le malade n’a plus le temps de faire une dénutrition majeure. C’est probablement vrai. Mais quand je dis cela je me place dans une problématique de tout ou rien, qui n’est pas forcément la plus adaptée à la pratique en unité de soins palliatifs : il n’est peut-être pas dépourvu d’importance, contrairement à ce que je pense, de ralentir la dénutrition. Mourir de faim c’est grave quand on a faim. Je crois par contre que ce point est à peu près sûr et qu’il nous faut en toute occasion nous battre contre ce type de fantômes. Reste tout de même que souvent le malade qui n’a pas faim s’en plaint, pour un grand nombre de raisons, et que son anorexie a largement de quoi l’inquiéter : nous savons tous que pour la famille l’alimentation est un enjeu majeur, et que nous avons parfois à nous employer contre cette propension à l’acharnement alimentaire ; mais le malade, lui, en pense certainement quelque chose. Et même si nous veillons à ne pas être brutaux dans nos annonces, le malade entend sans doute parfaitement que je lui dis qu’il n’y a plus tellement d’enjeu. Mais il y a pire. C’est que l’alimentation artificielle a beau être un traitement, la question ne se pose pas de la même façon pour le soignant et pour le malade ou sa famille. Nous savons bien que l’alimentation a aussi, et presque d’abord, une dimension symbolique. Cette dimension symbolique est très prégnante pour la famille, certes, mais à en juger par ce que je viens de dire il y a de fortes chances pour qu’elle le soit pour nous aussi. Et dans la fin de vie la problématique de l’alimentation se prête sans doute admirablement à une mise en mots de l’indicible. Et mon discours bien huilé, efficace, logique, entraîne une stérilisation de cette problématique. Peut-être n’est-ce pas très prudent : il vaudrait mieux laisser la discussion s’y éterniser, et y ouvrir les portes de la symbolisation. Reste deux points : - Si nous voulons dire sur l’alimentation artificielle des choses médicalement appropriées, la seule voie est celle de la recherche clinique. Il y en a sûrement eu, mais snas doute pas assez. - Mais en réalité l’essentiel de ce que les malades en vivent, et l’essentiel de ce que nous en disons, est dans le registre du symbolique. Quand ces deux points auront été sondés de manière suffisamment approfondie, alors on pourra se poser des questions éthiques. S’il en reste. |
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