HANDICHRIST Pêle-mêle, tout et rien |
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| FIN DE VIE... | |
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| Sujet: FIN DE VIE... 22.01.11 10:49 | |
| "Tu ne tueras point",c'est un des dix commandements du Décalogue de l'Ancien Testament.Cela signifie que la vie est sacrée.Elle appartient à Dieu.Mais seulement voilà,à l'époque où la Bible a été rédigée,il n'était pas question,bien évidemment, de réanimation médicale !..Le rôle du médecin a toujours été de soigner pour guérir afin de soulager les souffrances physiques des patients.Mais depuis que la réanimation médicale existe,est-ce que les médecins ne" jouent" pas avec la vie et la mort des patients? |
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| Sujet: Re: FIN DE VIE... 22.01.11 16:36 | |
| La mort n'est plus ce qu'elle était
Jamais la vie n'a été aussi longue, c'est un fait. Mais avons-nous vraiment mesuré les problèmes que pose à terme cet allongement de l'espérance de vie ? Sommes-nous d'ailleurs bien certains de notre définition de la mort ? Et enfin, comment inhumer écolo ?
C'est vrai que la mort n'est ni un sujet neuf, ni même très sexy. Mais l'idée m'est venue en lisant un dossier passionnant, paru dans l'hebdomadaire britannique New Scientist. Un dossier qui s'appelle "Tromper la mort". Par exemple, savez-vous qu'à la fin de votre lecture de cette chronique, qui va prendre cinq minutes, 535 personnes seront décédées et qu'au cours d'une vie d'homme (ou de femme, bien sûr) près de 4 milliards d'êtres humains seront passés de vie à trépas. Mais revenons à New Scientist. Si le dossier s'appelle "Tromper la mort", c'est parce que jamais, depuis environ deux cents ans, l'espérance de vie humaine n'avait été si élevée (dans les pays développés bien entendu). Tous les ans, nous gagnons 2,2 années d'espérance de vie. Ça veut dire cinq heures de vie supplémentaires tous les jours. Du jamais-vu dans l'Histoire.
On est donc parvenu à repousser la mort. Le problème, explique l'hebdomadaire, c'est la vie qui va avec. Car si l'espérance de vie augmente spectaculairement, l'espérance de vie en bonne santé, elle, n'a que très peu progressé. Autrement dit, nous vivons plus vieux mais aussi beaucoup plus longtemps en mauvaise santé. Du coup, des maladies qui étaient exceptionnelles lorsque l'humanité mourait jeune deviennent notre lot commun. Par exemple, on sait que près de la moitié des plus de 85 ans souffriront d'Alzheimer. On sait aussi qu'au-delà de cet âge avancé un quart de ceux qui échappent à cette terrible maladie auront une dépression grave. On sait enfin que les trois quarts des plus de 80 ans souffrent d'un handicap ou d'un autre.
On pourrait dire : ça ira mieux demain, la science et la médecine trouveront le moyen d'arranger ça. Pas sûr ! Car – et c'est toujours New Scientist qui l'explique – les compagnies pharmaceutiques ont un intérêt évident à soigner mais pas forcément à guérir. En clair, un patient guéri n'achète plus de médicaments, alors qu'un malade chronique, lui, dépense encore et encore et encore… Bon, mais à la fin tout le monde y passe quand même. Eh bien, ce n'est plus si sûr non plus. En mai prochain, des centaines de neurologues du monde entier se réuniront à Cuba, non pas pour ausculter Fidel Castro, mais pour essayer de se mettre d'accord sur une définition valable et moderne de la mort.
Je m'explique. Jusqu'au milieu du siècle dernier, était déclaré mort celui ou celle dont le cœur cessait de battre. Avec l'invention des respirateurs artificiels, on a pu également maintenir en vie ceux dont le cœur était défaillant. Il a fallu trouver une autre définition de la mort. Après beaucoup de discussions, on s'est finalement mis d'accord sur l'idée qu'être mort c'est avoir un encéphalogramme plat, soit lorsque la plupart des fonctions du cerveau sont détruites.
Le problème, c'est que depuis on a fait beaucoup de recherches et de découvertes. Par exemple, on sait aujourd'hui que la destruction d'une toute petite partie du cerveau – alors que le reste est quasiment intact – peut suffire à plonger quelqu'un dans un coma permanent. A l'inverse, on sait que des cerveaux considérés comme morts continuent parfois d'avoir une activité cérébrale même résiduelle. Enfin, on sait que le cerveau peut, en partie, se "réparer" tout seul et des recherches récentes montrent qu'à terme on pourra même aider cette auto-réparation.
Bref, difficile dans ces conditions de déclarer avec assurance la mort clinique. Mais difficile aussi de maintenir indéfiniment en vie des patients quand on sait que le coût annuel de cette assistance est plusieurs fois supérieur au revenu moyen d'une famille occidentale. Il y a d'ailleurs un cas très célèbre : Ariel Sharon est maintenu en vie artificiellement depuis le mois de mai 2006 – c'est-à-dire depuis près d'un an et demi – alors même que l'on sait qu'il a très peu de chances de "se réveiller" un jour. Mais déclarer sa mort est devenu un enjeu à la fois politique, familial et même médical.
Et puis, il y a aussi de nouvelles façons d'inhumer : avant on enterrait, aujourd'hui on incinère. En Suède, il y a même quelques tentatives d'enterrement écolo, c'est-à-dire sans cercueil et à même le sol. Pour les ayatollahs de l'écologie, on peut même lyophiliser le corps pour en faire du compost. Il me reste sept ou huit secondes. Ce n'est pas assez pour vous parler de la dernière partie du dossier de New Scientist, qui est consacrée à toutes les morts violentes possibles. Mais savez-vous que sept secondes c'est justement le temps qu'il faut à une tête décapitée pour consommer tout l'oxygène qui reste dans son cerveau avant de mourir ? Sept secondes pendant lesquelles Louis XVI, par exemple, a donc pu continuer à voir ses bourreaux s'affairer autour de la guillotine. Bonne fête des morts !
Anthony Bellanger
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| Sujet: Re: FIN DE VIE... 22.01.11 17:28 | |
| Selon l’enquête européenne EURELD effectuée en 2001-2002 dans six pays européens [1], entre 36 % et 51 % de tous les décès (sauf 22 % pour l’Italie) sont le résultat d’une décision médicale de fin de vie. Cette décision concerne, dans presque la moitié des cas, des pratiques qui incluent l’arrêt, la limitation, l’abstention thérapeutique, que ces gestes soient volontaires ou non volontaires, et pour l’autre moitié l’administration d’analgésiques à hautes doses, un traitement qui est susceptible d’écourter la vie. Seul une petit pourcentage de tous les décès (de 0,1 % en Italie et 0,2 % en Suède à 3,4 % en Hollande) concerne, surtout dans les pays où ce geste est autorisé par la loi, l’administration de produits létaux, qu’elle soit volontaire ou non volontaire [2]. Ce que ces chiffres montrent, c’est d’une part l’importance en termes numériques des « décisions de fin de vie » ; d’autre part le fait qu’elles se réalisent par des moyens très différents, et pour la plupart en dehors de ce que l’on appelle couramment « euthanasie ».
L’aspiration à « mourir vivant » Le débat autour de la légitimité éthique de l’euthanasie, en France et ailleurs, n’en est probablement qu’à ses débuts, malgré la publication récente du rapport Leonetti sur l’évaluation de la loi homonyme de 2005 sur la fin de vie [3]. Même si le rapport conclut qu’il n’y a nul besoin de légiférer à nouveau pour revenir sur l’interdiction de l’euthanasie, il y a fort à parier que la question reste ouverte dans les esprits, comme le montre la récurrence des interventions dans la presse et les publications tout aussi nombreuses [4]. Et il est bien qu’il en soit ainsi. Contrairement à ce qu’on pourrait être tenté de croire, la loi ne règle pas les questions éthiques qui se posent notamment dans le domaine médical, mais se limite à leur donner un cadre autorisant implicitement certaines solutions, celles qui ne sont pas explicitement interdites, et établissant des conditions spécifiques pour la légitimité d’autres actions éventuelles. En aucune manière elle ne nous indique exactement ce qu’il est bien de faire dans un cas particulier. C’est précisément la raison pour laquelle la réflexion éthique reste d’une grande actualité et que l’exercice quotidien et réfléchi des décisions médicales difficiles reste la façon privilégiée de faire – éventuellement – évoluer la loi dans le long terme.
En outre, dans le cas spécifique de l’euthanasie, le décalage entre les deux questions de sa légitimité éthique et de son éventuelle légalisation est encore plus important que dans le cas d’autres pratiques à la frontière de la médecine. Le fait d’autoriser explicitement des membres du corps médical à donner la mort, ne fût-ce que dans l’intention louable de soulager les souffrances des patients, est perçu, notamment par les médecins eux-mêmes, comme plus problématique encore que la réalité du geste lui-même, accompli dans le silence de la relation médicale. La crainte que la reconnaissance légale de cette pratique, même si elle devait rester très marginale, n’entraîne des dérives conceptuelles et pratiques redoutables l’emporte sur la conviction que ce geste peut s’avérer, dans certains cas du moins, nécessaire et justifié.
Quant au public, la revendication de la légalisation de l’euthanasie reste importante malgré l’interdiction de la loi, et elle est certes rendue plus aiguë dans le public par le tapage médiatique entourant certains cas particulièrement douloureux et rebelles à tout traitement autorisé. Elle correspond toutefois, et surtout, à la perception que c’est la pratique même de la médecine contemporaine qui réclame ce remède extrême. Et cela pour deux raisons. L’aspiration à « mourir vivant » que font si souvent valoir ceux qui soutiennent un « droit à mourir dans la dignité » serait enfin devenue possible grâce aux progrès médicaux qui prolongent, apaisent et rendent de plus en plus scientifiquement prévisible et contrôlée cette fin de vie qui était traditionnellement couverte d’un voile de pudique ignorance et associée à l’impuissance la plus totale. Par ailleurs, cette même aspiration serait devenue non seulement possible mais également légitime grâce à l’intégration progressive dans la pratique médicale des droits des patients : on peut considérer que les choix médicaux font à ce titre partie des choix essentiels de la vie d’une personne et à ce titre sont couverts par le droit à l’autodétermination [5]. À partir du moment où la mort relève d’une façon ou d’une autre d’une « décision médicale de fin de vie », elle peut être considérée comme faisant partie des choix individuels les plus fondamentaux. Qu’elle soit considérée comme une bénédiction ou au contraire comme une malédiction, la mort assistée peut bien apparaître à un regard lucide et informé comme une conséquence inéluctable de la réalité de la pratique médicale contemporaine.
Faire mourir et laisser mourir Le regard se tourne ainsi vers la médecine elle-même : au delà de l’interdiction de l’acte de tuer, comment envisage-t-elle de résoudre les questions que soulève tragiquement sa propre pratique ? C’est le sens de l’appel qu’Iphigénie adresse à Diane dans le texte cité en épigraphe : elle demande justement à celle qui a « prolongé ses jours » de reprendre un bien, la vie, devenu insupportable, au nom de la responsabilité qu’elle aurait acquise précisément en la sauvant de son père.
La réponse courante, inscrite non seulement dans la loi, mais également dans les recommandations de différentes sociétés médicales savantes, consiste à distinguer de façon nette deux types de gestes médicaux : d’une part, ceux qui visent à entraîner directement et intentionnellement la mort d’un patient et, d’autre part, ceux qui visent à permettre au processus de la mort de se réaliser spontanément, par un arrêt de soins ou par une abstention thérapeutique. Ces différentes formes de limitation de soins actifs sont complétées par l’administration de produits analgésiques « à double effet », qui soulagent la souffrance et accélèrent la fin de vie : ils sont légitimes s’ils n’ont été administrés que pour soulager la souffrance et aucunement dans le but d’entraîner la mort.
Cet ensemble de pratiques hétérogènes fait partie des moyens mis à la disposition des services et des unités mobiles de soins palliatifs, qui les revendiquent non seulement comme légitimes, mais également, dans certains cas, comme obligatoires. Toutes ces pratiques s’opposeraient de façon nette à tout geste qui consisterait à donner directement la mort, et elles seraient d’avance justifiées au nom du fait que soit la médecine « se retire », soit elle accomplit son devoir le plus sacré, celui de soulager la souffrance. Les recommandations de Société de réanimation de langue française expriment bien cette position qui est sous-jacente à la loi Leonetti sur la fin de vie :
« La décision de limitation ou d’arrêt de thérapeutique(s) active(s) […] représente dans les situations devenues désespérées la seule alternative éthique à un acharnement thérapeutique, contraire au code de déontologie médicale. Cette pratique ne constitue en rien une pratique d’euthanasie, mais vise à restituer son caractère naturel à la mort. » [6]
La loi décrit les pratiques d’arrêt, limitation et abstention des soins dans les situations de fin de vie comme le légitime refus de l’ « obstination déraisonnable » (article 1er) [7], une caractérisation qui en donne en même temps la justification éthique.
L’enjeu de la distinction entre « faire mourir » et « laisser mourir » est donc crucial : il s’agit, pour la médecine en général et pour les opposants à la légalisation de l’euthanasie en particulier, de montrer que la médecine a bel et bien une solution aux nouvelles questions posées par la fin de vie médicalisée aujourd’hui, et que cette solution n’implique en rien le recours à ce qu’il est convenu d’appeler « euthanasie ».
Afin d’analyser la distinction pratique et éthique entre ce qu’on peut appeler les différents « gestes de fin de vie », il faut tout d’abord mettre au jour les enjeux de la question terminologique : qu’est-ce que l’euthanasie et comment peut-on caractériser les pratiques médicales d’arrêt de soins et d’abstention thérapeutique, ainsi que l’administration de produits à « double effet » ? Cela nous permettra d’aborder la question fondamentale de la légitimité éthique des différents gestes de fin de vie. Nous allons d’abord montrer qu’un des arguments principaux de la discontinuité entre pratiques actives et pratiques passives, l’intention de l’acteur, joue au contraire en faveur de l’équivalence éthique de ces pratiques. Le deuxième argument en faveur de la supériorité éthique d’un geste de retrait de soins consiste à faire valoir qu’ici la médecine se limite à mettre légitimement fin aux dérives néfastes de son propre pouvoir, l’acharnement thérapeutique, et à rétablir l’ordre naturel des choses. Cet argument mérite en fait une évaluation plus nuancée.
La terminologie et ses enjeux Indépendamment du caractère « volontaire » ou « involontaire » du geste de fin de vie [8], on peut donner, et on donne dans les faits, au terme « euthanasie » deux définitions différentes. Certains utilisent le terme « euthanasie » au sens strict pour indiquer le geste de donner intentionnellement la mort à un autre, typiquement par l’injection de produits létaux. D’autres l’utilisent au sens large pour indiquer une intervention, ou un geste, ou même une omission (une action « positive » ou une action « négative ») qui contribue positivement à la réalisation d’un certain effet, en l’occurrence au fait de mettre un terme à la vie d’une personne. Dans les deux cas, l’intervention médicale a lieu dans l’intention de soulager la souffrance ou « pour tout autre motif d’ordre éthique » [9], notamment pour respecter l’autonomie de la personne et pour lui éviter des souffrances inutiles.
La question terminologique recouvre une profonde différence de doctrine. Ceux qui s’en tiennent à la première définition considèrent que l’arrêt et la limitation de soins ou l’abstention thérapeutique ne sont aucunement des pratiques qui relèvent de l’euthanasie. Entre l’administration d’une injection létale et le retrait de soins, il existe une frontière étanche, ce qui rend plus facile de condamner la première comme un meurtre et de justifier le second comme le refus d’un autre mal opposé, celui de l’acharnement thérapeutique. C’est la thèse de la discontinuité, qui est souvent adoptée par les opposants de la légalisation de l’euthanasie active. En revanche, ceux qui adoptent la deuxième définition considèrent qu’il existe une réelle continuité entre les différentes pratiques qui mettent en œuvre, avec des moyens différents, une « décision de fin de vie ». L’injection de produits létaux est ainsi appelée « euthanasie active », alors que les pratiques d’abstention thérapeutique, de limitation ou de retrait de soins relèvent toutes de l’« euthanasie passive ». L’approche continuiste rend plus facile l’utilisation d’un raisonnement analogique pour justifier l’euthanasie active : s’il est vrai qu’il existe aujourd’hui un consensus indéniable sur la légitimité générale de l’arrêt de soins et l’abstention thérapeutique, et si les pratiques de ce qu’on peut appeler l’« euthanasie passive » sont suffisamment similaires à celle de l’« euthanasie active », alors cette dernière peut également être considérée comme moralement légitime. Il n’est donc pas surprenant que le terme d’« euthanasie passive » soit plus souvent utilisé par les partisans de la légalisation de l’euthanasie active.
Je plaide, quant à moi, pour la définition large. Premièrement, elle permet de mieux saisir la différence entre les deux types de pratique, tout en indiquant ce qu’elles ont en commun. Placer les deux types de pratiques (actives et passives) d’entrée de jeu dans deux catégories distinctes ne permet pas de rendre compte de la complexité des intuitions sous-jacentes à cette problématique. Ces intuitions communes sont justement complexes et difficiles à démêler précisément parce qu’elles incluent l’idée d’une différence, malgré une certaine continuité. Contrairement à certains partisans de la légalisation de l’euthanasie active, je ne pense pas qu’il faille tout simplement identifier les deux pratiques, actives et passives.Deuxièmement, définir, comme le font les partisans de la discontinuité radicale, les pratiques « passives » comme le légitime refus de l’acharnement thérapeutique, suppose que cette notion soit clairement définie. Or, au contraire, bien souvent la limite entre soins « futiles » et soins « utiles » suppose une évaluation générale de ce qui est « bien » pour un patient, et ceci à son tour implique une évaluation éthique.
Pour finir, si quelqu’un veut efficacement s’opposer à la légalisation de l’euthanasie active, ou soutenir que l’euthanasie active est moins légitime moralement que l’euthanasie passive, il est obligé de répondre à la thèse de la continuité. À défaut, il serait contre son gré obligé d’admettre que la loi autorise déjà le geste consistant à tuer, certes indirectement, un patient.
L’intention et la responsabilité : des frontières difficiles à définir La définition large de l’euthanasie indique à juste titre une certaine communauté morale entre les deux pratiques de l’euthanasie passive et de l’euthanasie active. Premièrement, le niveau de responsabilité du praticien n’est pas sensiblement différent : il s’agit dans les deux cas de mettre en œuvre une « décision médicale de fin de vie », qui comporte toute une série d’actions aussi nombreuses que diverses, d’abstention, de limitation de soins et d’administration de produits analgésiques et anesthésiants. Or si l’intention de chacun de ces geste (« intention en action ») est différente et spécifique – débrancher un respirateur chez un malade terminal est une action différente que ne pas administrer des antibiotiques dans le cas d’une pneumonie chez le même malade, et ces deux actions « passives » sont différentes de l’administration d’un produit analgésique –, l’« intention préalable » [10] de cette série d’actions est bien d’abréger la vie du patient pour des raison éthiques qui relèvent de l’absence d’un futur acceptable pour le patient lui-même. De la même façon, même si l’intention « en action » relative à l’administration d’un produit létal est celle de tuer, l’intention « préalable » peut bien être celle de soulager la souffrance, si tous les autres moyens se sont révélés inefficaces.
Quant à la théorie du double effet qui vise à distinguer dans l’administration de produits potentiellement létaux les pratiques éthiquement acceptables des pratiques éthiquement inacceptables à partir de l’intention (soulager la souffrance, dans le premier cas, ou mettre un terme à la vie d’un patient, dans l’autre), elle est mise à rude épreuve, surtout dans le contexte actuel : certains gestes actifs étant interdits, on utilise des produits qui soulagent la souffrance à des doses telles qu’ils sont mortels, afin de soulager des souffrances insupportables après l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation. Cette pratique est tout à fait légale en France, étant donné que la nutrition et l’hydratation sont de fait assimilés à des traitements. Ou bien on pratique ce qu’on appelle la « sédation terminale », et ce parfois avec l’intention « préalable » de mettre fin à la vie du patient, même si l’intention « en action » est de l’endormir [11]. Il faut bien reconnaître que les « intentions en action » sont de piètres indicateurs pour l’évaluation morale, puisqu’elles concernent la nature des sous-actions contingentes, donc éthiquement neutres, d’un choix général animé par une intention « préalable » qui correspond au véritable but visé par une chaîne causale d’actions.D’un point pratique, même si l’on admet, pour les besoins de l’argumentation, qu’il soit possible d’établir une distinction subtile entre les intentions respectives de ceux qui administrent des analgésiques à fortes doses, dans le but de soulager la souffrance d’un patient, et ceux que le font dans le but de raccourcir sa vie, une question demeure : comment garantir un minimum d’intersubjectivité et de contrôle si toute la distinction entre une pratique éthiquement justifiée (et légale) et une pratique éthiquement injustifiée (et illégale) se fonde sur l’intention privée de celui qui la met en œuvre ? Faut-il donc en conclure que « la société et la médecine devraient arrêter d’’entretenir la fiction’ que tuer et laisser mourir sont différents du point de vue éthique » [12] ? Pas en tout cas avant d’avoir considéré une autre différence possible entre euthanasie active et euthanasie passive.
La nature et les différents gestes de fin de vie Ce qui semble caractériser l’ensemble d’actions regroupées sous l’étiquette « euthanasie passive », par opposition à celles qui caractérisent un acte d’euthanasie « active », est qu’elles visent à accompagner et éventuellement à infléchir le processus naturel qui conduit au décès plutôt qu’à l’initier. Dans le cas de l’euthanasie active, le soignant non seulement décide qu’il accepte de contribuer à la mort du patient, mais également initie le processus biologique qui va causer la mort. Ceci n’est pas le cas pour les pratiques d’euthanasie passive. Comme l’écrit Daniel Callahan, même si l’arrêt de traitement comporte également un ensemble d’actions dont certaines sont positives et d’autres négatives, et si donc sa responsabilité est également engagée, une injection létale fait mourir n’importe qui alors qu’un arrêt de traitement ne ferait mourir qu’un malade [13].
C’est donc dans la mesure où l’euthanasie « passive » serait un tel ensemble de gestes respectant, accompagnant et éventuellement infléchissant un processus « naturel », qu’elle pourrait se différencier de l’euthanasie active, et qu’elle pourrait posséder un avantage moral sur sa contrepartie « active ». La question devient donc la suivante : l’intuition ancienne (et très répandue dans le monde médical) selon laquelle il vaudrait mieux « suivre la nature ou la laisser suivre son cours » plutôt que l’interrompre, peut-elle être justifiée ? Et à quelles conditions ?
Dans son sens le plus courant, le mot « naturel » signifie « tout ce qui arrive sans l’action, ou sans l’action volontaire et intentionnelle, de l’homme » [14]. Naturel s’oppose à artificiel. Ainsi, le fait de retirer ce qui a été au préalable artificiellement introduit dans le corps d’un patient par la médecine serait équivalent à revenir à un état antérieur, « naturel », dans lequel la mort ne serait que le résultat d’un processus pathologique sous-jacent, et la médecine serait donc dégagée de toute responsabilité morale. « On voudrait que tout se passe comme si la médecine n’était pas intervenue du tout » ; « on ne veut pas pousser la seringue » : c’est là une aspiration que l’on retrouve, plus souvent qu’on pourrait le croire, chez les patients eux-mêmes ou leur familles.
L’apparente simplicité de la distinction entre naturel et artificiel, et la facilité avec laquelle l’on pourrait exonérer d’une évaluation morale tout geste qui consiste à retirer ce qui a été artificiellement ajouté, est trompeuse. D’une part, toute action humaine, même celle de préserver la nature comme elle est (ou, mieux, comme elle est censée être) consiste à interférer avec « le cours spontané des choses » de façon volontaire, ne serait-ce qu’à un degré minimal. Le naturel ne se retrouve qu’à des degrés différents et toujours mélangé à l’artificiel. Ainsi la seule mort réellement naturelle ne serait autre chose qu’une mort qui a lieu très loin de la médecine. D’autre part, il y a une large part de fiction dans le fait de considérer qu’interrompre un antibiotique, ou même s’abstenir de commencer ce traitement, est équivalent, pratiquement et moralement, à une situation entièrement contrefactuelle dans laquelle on n’aurait pas du tout envisagé d’entreprendre un tel traitement (ou, encore mieux, dans laquelle l’antibiotique n’existerait même pas).
Deuxièmement, la distinction entre pratiques naturelles et pratiques artificielles relèverait d’une « timidité morale », sinon d’une attitude hypocrite. Comme l’écrit Patrick Hopkins, « quand nous pensons qu’il serait sans aucun doute mieux pour le patient de mourir, mais que nous ne sommes pas prêts à assumer la tâche morale d’avoir tué, l’appel à la mort naturelle nous donne une voie de sortie ». Ainsi nous pouvons aller jusqu’à définir certains certaines pratiques médicales comme artificielles afin de nous autoriser à y mettre fin [15].Pour finir, suivre la nature serait non seulement impossible et hypocrite, mais même immoral. Même si la médecine pouvait imiter la nature par son action ou renoncer à la modifier artificiellement, il serait immoral de le faire, car elle tue de toutes les façons les plus horribles. Comme le dit Mill de façon très éloquente, « si le créateur du monde peut tout ce qu’il veut, il veut la souffrance ; il est impossible d’échapper à cette conclusion » [16]. Et personne ne peut nier que des gestes d’euthanasie passive – la limitation de traitement, même aidés par l’administration de produits à double effet – impliquent parfois une mort plus longue et donc plus éprouvante du point de vue de la souffrance physique et psychologique pour le patient et/ou sa famille, que celle qu’aurait procurée une simple injection létale.
Les intuitions morales, la fin de vie et la loi Une observation attentive des intuitions morales associées aux décisions médicales de fin de vie montre qu’il existe une réelle continuité entre les différents gestes de fin de vie : on peut « tuer » de bien d’autres manières que par injection létale, même si on le fait pour des raisons éthiques tout à fait justifiées [17]. Toutefois, contrairement à ce que soutiennent bien des défenseurs de la légalisation de l’euthanasie active, cette continuité n’implique pas la conviction qu’il existe une identité morale absolue entre les différents gestes de fin de vie. Au contraire, les gestes caractérisés comme les plus « actifs » sont également considérés comme les plus moralement problématiques, même si la ligne de démarcation entre pratiques « passives » et pratiques « actives » ne correspond pas à ce qui est aujourd’hui en France considéré comme légal et illégal [18]. Par exemple, l’abstention thérapeutique (le fait de ne pas initier un traitement) est considéré comme moins problématique que le fait d’arrêter un traitement déjà en cours. Il est plus difficile éthiquement d’arrêter l’hydratation et l’alimentation qu’un traitement médical. Les circonstances sont également pertinentes pour l’évaluation morale du geste : l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de personnes âgées qui ne désirent plus s’alimenter est moins problématique que le même geste chez un malade paralysé qui souhaiterait mourir mais qui ressent clairement le désir de s’alimenter.
À l’inverse, et contrairement à ce que mettent en avant les partisans d’une discontinuité radicale entre euthanasie et « refus de l’acharnement thérapeutique », les pratiques de retrait et limitation de soins ne sont pas si éthiquement anodines qu’on ne le dit. Comme l’écrivent deux infirmières qui décrivent leur expérience « face à l’arrêt et l’abstention de soins », laisser mourir n’est pas simplement permettre de mourir ; il faut « savoir laisser mourir », aussi bien techniquement que moralement [19].
En fin de compte, l’euthanasie pose deux questions qu’il est crucial de distinguer. La première est de savoir si le geste le plus actif de tous – et le seul qui reste encore interdit, avec le suicide assisté –, l’injection létale, est éthiquement légitime et à quelles conditions. La seconde est de savoir si elle peut ou doit être légalisée. Nous avons vu qu’il existe une réelle continuité entre les gestes qui mettent en œuvre une décision de fin de vie et que les formes plus actives d’euthanasie sont perçues comme éthiquement plus problématiques que les gestes plus passifs. Toutefois, cette constatation n’est pas en soi incompatible avec une éventuelle légalisation du geste. La loi se limite à mettre à la disposition de la médecine les moyens dont elle a besoin pour mettre en œuvre la meilleure décision de fin de vie possible étant donné les contraintes de la situation concrète. Il revient aux soignants, « les obstétriciens du processus de mort » [20], de peser le caractère éthiquement plus problématique des gestes de fin de vie les plus actifs au regard de deux autres contraintes éthiques majeures, celle de la volonté du patient et celle de la souffrance globale infligée. Par contre, une éventuelle dépénalisation doit surtout être évaluée à l’aune des dérives possibles. À ce propos, une évaluation soigneuse de la situation hollandaise, le premier pays européen qui ait légalisé l’euthanasie, permet de poser un certain nombre de questions essentielles : est-il légitime de sortir du cadre de la fin de vie ? Un droit éventuel à la mort serait-il un droit « faible » (on peut demander le geste) ou un droit « fort » (on peut l’exiger) ? Comment éviter que l’injection létale devienne non plus le dernier recours mais l’option par défaut ? [21] Quelle que soit la décision que notre société prendra au sujet de la légalisation de l’injection létale, il est utile de reconnaître que la médecine contemporaine a perdu à jamais l’innocence éthique des gestes de fin de vie qu’elle est inévitablement amenée à effectuer, et que rien ne sert d’invoquer le paradis perdu du laisser mourir.
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