Voilà donc le film qui fit connaître mondialement son réalisateur, Lars von Trier.
Breaking the Waves raconte l’histoire d’une jeune femme, Bess, apparemment fragile psychologiquement (elle a déjà été internée dans un hôpital psychiatrique). Bess, ayant trouvé l’amour, se marie. Mais son époux est victime d’un grave accident ; il se retrouve paralysé et peut à peine parler et respirer. Elle serait prête à tout pour lui, pour le sauver, ou ne serait-ce que pour apaiser sa douleur. Mais lui ne veut pas de quelconque sacrifie, elle doit continuer à vivre. Il lui demande de trouver un amant. Bess, au début réticente, finit par se plier aux exigences de son bien-aimé. Pour le sauver, pour provoquer le miracle, elle ira jusqu’au bout de sa logique.
Lars von Trier aborde ici des sujets qui deviendront récurrents par la suite : l’amour, la bonté, le sacrifice. Comme il le fera dans Les Idiots, Dancer in the Dark ou même Dogville (mais dans une moindre mesure), il met en scène une femme (interprétée par la merveilleuse Emily Watson) qui se sacrifie par amour et par bonté. Bess est un cœur pur, le symbole du don de soi, de la relation d’amour désintéressée. Seule l’héroïne des Idiots sera son égale, car dans Dancer in the Dark et Dogville, le sacrifice des protagonistes ne sera pas aussi désintéressé.
Bess est tout de même un personnage fort complexe. Entre rires et larmes, cris du cœur et coups de colère ravageurs, elle est capable d’analyse fine comme de superstition la plus improbable. Sa vision du monde se fonde sur l’intuition et les sensations. Dilatation des affects qui passent par la religion. Car si, en surface, Lars von Trier traite de l’exclusion sociale, l’aspect profondément théologique du film ne peut être négligé. Il est intéressant de remarquer que dès Breaking the waves, le cinéaste impose un univers voguant entre le profane et le sacré, refusant tout à la fois vision progressiste et infantilisme religieux. La classique opposition entre religion de foi (la foi est intérieure, fruit d’une Révélation et d’une relation privilégiée avec Dieu) et religion de gestes (il faut prouver sa foi, qui ne s’affirmera qu’à travers des gestes et des rites destinés à la cimenter) vole elle aussi en éclat, car le sacrifice de Bess ne saurait se résumer à l’une de ces deux catégories de « religion » : elle relève de ces deux types de religion.
Impossible également de voir en le miracle qui s’opère sous nos yeux une apologie anti-rationaliste et anti-positiviste de la superstition. Mais plutôt celle de la croyance. Finalement, croire en Dieu (avoir la foi) ou croire en des signes (être superstitieux), tout cela n’a guère d’importance, semble nous dire le cinéaste. Toute croyance, quand elle se fait persévérance puis dépassement de l’être, anime celui qu’elle porte d’une force quasi transcendante. C’est cette force là, chevillée à la bonté et la forme d’inconscience amoureuse de l’héroïne, qui dépasse et en même temps (trans)porte Bess, la poussant au sacrifice de sa vie. Oui, ce petit bout de femme est incroyablement fort, plus fort que le regard des autres, que le poids de la tradition, que la mort.
Breaking the Waves est donc un film extraordinaire. Difficile d’accès et éprouvant certes, mais dont l’impact émotionnel est vivace. Car derrière cette mise en scène morbide et mortuaire de la déchéance physique, « morale » et masochiste de Bess, ce qu’il reste de Breaking the Waves, c’est l’odeur sanguine de la vie. La vie à tout prix, quel qu’en soit le sacrifice.