Blog Jeanne Smits
décembre, 2013
La sédation palliative pour tuer : des médecins néerlandais avouent
Aux termes d'une enquête menée auprès de 866 médecins de famille néerlandais, 10 % d'entre eux ont avoué qu'il leur arrive d'administrer des doses de morphine ou de dormicum bien au-delà des posologies recommandées en vue de hâter la mort d'un patient. Pour la presse néerlandaise, ces réponses sans fard au questionnaire proposé par une émission de télévision (« Altijd wat » de NCRV) et une revue médicale, Medisch Contact, sonnent comme la fin d'un tabou.
L'idée de l'enquête est venue à la suite de la suspension en octobre, puis du suicide d'un médecin de Tuitjenhorn qui avait contrevenu en août dernier aux critères de conformité (« critères de minutie ») de l'euthanasie légale en injectant à un patient en phase terminale une dose massive de morphine, sans respecter le protocole médical établi. Le patient était mort dans la foulée.
De nombreux médecins avaient alors dit leur indignation devant les sanctions appliquées contre ce médecin, Nico Tromp, dénonçant à la fois les investigations des services d'inspection des médecins et des services judiciaires au motif que les directives officielles ne sont pas toujours applicables, selon eux, dans la réalité.
Voilà qui éclaire d'un jour plus exact la pratique de la « sédation palliative » aux Pays-Bas, dont il apparaît de plus en plus qu'elle est une sorte d'euthanasie qui ne dit pas son nom. Et qui, du point de vue moral, est bien plus ambiguë qu'une piqure létale : selon les cas, elle peut constituer un assassinat délibéré ou une pratique justifiée par l'état du patient. En brouillant les pistes entre euthanasie et soins palliatifs, elle a fait naître une zone grise où le débat peut s'enliser, laissant s'instaurer une mentalité euthanasique là où une conscience claire des limites fait défaut.
Les exemples donnés par les médecins interrogés laissent deviner cette ambiguïté.
Un médecin répond par exemple : « Lorsqu'un patient en phase terminale suffoque beaucoup ou qu'il a d'intenses douleurs qui résistent aux médicaments malgré qu'ils sont adaptés à son état, je lui donne la dose que j'estime nécessaire. En un tel moment, les protocoles ne me servent à rien. Ce n'est pas de la confection, mais du sur mesure. »
Un autre commente : « Un résultat nul de mes interventions aux yeux d'un mourant n'est pas excusable par un renvoi au protocole. »
Et un autre souligne qu'il a déjà donné un « dosage Tuitjenhorn » de sédatifs à une jeune patiente qui se trouvait dans « une situation abominable ».
Mais s'agit-il toujours de sédations euthanasiques – c'est-à-dire où l'intention de tuer est première ? L'absence de distinctions claires à ce sujet aux Pays-Bas, où l'on accepte très bien l'idée de mettre à mort un patient consentant dans des situations données, oblige à rester prudent. Car donner de la morphine à hautes doses à un patient dans les affres de l'agonie peut ne pas être un geste assassin, mais le seul moyen de le soulager, quitte à hâter (effet non directement souhaité) la survenue de sa mort. Ici, à l'évidence, on ne connaît pas assez les dossiers dans toute leur individualité pour pouvoir se faire une opinion à peu près juste.
D'autres témoignages sont beaucoup plus net, et bien plus inquiétants. Un médecin a ainsi répondu : « La dernière fois qu j'ai appliqué une sédation palliative, c'était à une patiente qui était arrivée au bout et qui faisait comprendre : “Je n'en peux plus, laissez-moi dormir.” Cette patiente s'est endormie en toute sérénité une demi-journée plus tard. » Ici, clairement, la sédation a eu pour but de faire survenir la mort.
D'ailleurs selon l'enquête, pas moins de 7 % des médecins interrogés ont indiqué avoir commencé la sédation palliative « trop tôt », alors qu'il n'était pas encore question de douleurs impossibles à soulager ou de suffocation.
En principe la sédation palliative est soumise elle aussi à des protocoles stricts : il s'agit d'endormir profondément le patient, afin qu'il ne ressente ni douleur ni suffocation, mais cela n'est « permis » que dans le cas où le patient n'a, au maximum, plus que deux semaines à vivre, ce qui est une appréciation subjective et même une affaire du serpent qui se mord la queue puisque, pendant cette sédation, il sera privé de nourriture et d'hydratation, retrait qui peut être la cause directe de la mort.
Quoi qu'il en soit l'aveu de la part de 7 % des médecins interrogés d'une sédation hors-la-loi indique que non seulement on est de plus en plus disposé à franchir les bornes, mais qu'en outre on s'en cache de moins en moins.
Pour Agnes van der Heide, professeur en soins de fin de vie, cette nouvelle donne n'est pas totalement inatttendue, même si elle ne s'attendait pas à de tels chiffres. « Cela ne m'étonne pas. Nous savions déjà que les médecins installent parfois une sédation palliative en vue de hâter la fin. Qu'ils le fassent en administrant des doses de médicaments plus élevées que ne le prévoient les directives et qu'il l'avouent désormais, c'est nouveau. » Le Pr van der Heide avait déjà mené sa propre enquête à ce sujet, estimant alors à 550 le nombre total d'administrations de surdoses de morphine qui constituaient des euthanasies cachées. Par rapport au nombre total de sédations palliatives cela représentait 3 % – nettement moins que le pourcentage que l'on peut escompter d'après les résultats de la dernière enquête de Medisch Contact.
Et cela s'accorde avec cette autre donnée qui en résulte : 6 % des médecins interrogés estiment que les directives néerlandaises actuelles ne sont pas en phase avec leur expérience de la pratique.