Légaliser l'euthanasie: la France rattrapera-t-elle l'Europe?
Suicide assisté ou euthanasie passive, un droit en fin de vie qui fait école en Europe
Lun, 16/12/2013 - 13:20
myeurop avec
RFI Accents d'Europe
Article du 18 décembre 2012 mis à jour le 16 décembre 2013.
Légaliser le suicide assisté, mais pas l'euthanasie: c'est l'avis que vient de rendre un panel de citoyens français, chapeauté par le Comité consultatif national d'éthique. En Europe, l'euthanasie active en fin de vie n'est permise qu'aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg. Ailleurs, on ferme le plus souvent les yeux sur l'euthanasie passive.
Chronique sur RFI - L'euthanasie by Myeurop
Ce lundi 16 décembre, la conférence citoyenne mise en place par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu son avis sur l'euthanasie. Après plusieurs auditions et réunions, une vingtaine de citoyens français se sont prudemment prononcés en faveur du suicide assisté. S'ils s'opposent à une inscription de l'euthanasie dans la loi, ils proposent d'autoriser des "exceptions d'euthanasie", notamment quand le patient est incapable d'exprimer sa volonté.
Le président Hollande a promis de légiférer bientôt sur la question (d'abord prévu pour juin 2013, ce nouveau texte ne serait pas présenté avant l'été 2014, selon Libération). L'avis "citoyen" rendu est purement consultatif, mais il apporte une ouverture par rapport à la récente recommendation du CCNE.
Le 1er juillet, le Comité consultatif d'éthique français recommandait en effet de ne légaliser ni l'assistance au suicide ni l'euthanasie. La majorité de ses membres s'était opposée à l'assistance au suicide comme à l'euthanasie.
La législation en vigueur ne permet pas de répondre à l'ensemble des préoccupations légitimes exprimées par les personnes atteintes de maladie grave et incurable",
estimait l'Elysée fin 2012.
En décembre 2012, le rapport Sicard était rendu, sur le même sujet. Les conclusions de ce rapport restaient prudentes concernant l’aide active à mourir en fin de vie, sans être hostile au suicide assisté. "L’assistance au suicide peut être envisagée dans certains cas de maladies incurables et évolutives", estimait ainsi le professeur Sicard. Or une éventuelle autorisation du "suicide assisté" nécessite une révision de la loi.
Surdité face à la détresse
Après avoir interrogé de nombreuses familles confrontées à la fin de vie dans la maladie et la douleur d'un proche, le professeur Sicard soulignait, notamment, la "grande insatisfaction des citoyens". Les familles dénoncent le plus souvent l'acharnement thérapeutique des médecins et la "culture du tout-curatif" qui va trop souvent de pair avec "une mauvaise prise en charge de la douleur" et la "surdité face à la détresse psychique et les souhaits des patients".
Comme dans la majorité des autres pays de l'Union Européenne, l’euthanasie active n’est pas autorisée en France. Cependant la loi Leonetti d’avril 2005 qui encadre actuellement la fin de vie en France, a interdit l’acharnement thérapeutique et officialisé le droit de "laisser mourir". Ainsi les médecins peuvent administrer des traitements antidouleur même si cela a "pour effet secondaire d’abréger la vie".
La question centrale que devra trancher la future loi est donc d'autoriser au non les médecins à provoquer la mort du malade incurable ou de pouvoir l'assister pour qu'il mette de lui-même fin à sa vie.
La France s'alignerait alors les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, pays où l'euthanasie active est autorisée.
Les médecins néerlandais ont une "excuse"
Aux Pays-Bas, l'euthanasie n'est pas dépénalisée à proprement parler. Juridiquement, l’incitation au suicide, l’euthanasie et l’aide au suicide demeurent des infractions pénales, mais une loi votée en 2001 introduit une "excuse de responsabilité pénale" au profit du médecin qui respecte certains critères. Chaque cas doit être signalé à l'une des cinq commissions chargées de vérifier si ces critères ont été respectés.
Sur 135 000 décès enregistrés en 2010 aux Pays-Bas, 1,7 % (2 300) l’ont été par suite d’euthanasie, 0,1 % après une aide au suicide, 24 % après des soins et/ou une sédation palliative et 15 % après un renoncement à un prolongement de traitement. Il semblerait que deux tiers des demandes d’euthanasie soient refusés par les médecins.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2002, aucune poursuite pénale n’a été exercée à l’encontre d’un médecin sur les fondements des articles 293 (euthanasie) et 294 (aide au suicide assisté) du code pénal.
Pour les cas "sans issue" en Belgique et au Luxembourg
En Belgique, la loi du 28 mai 2002 dépénalise aussi l’euthanasie active, tout en l’encadrant moins strictement qu'aux Pays-Bas. Le médecin doit s’assurer que le patient majeur ou le mineur émancipé (âgé d’au moins quinze ans), capable et conscient, formule sa demande de manière volontaire, réfléchie et répétée, sans pression extérieure. Le patient doit se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable.
Mais cette restriction au niveau de l'âge va probablement prochainement évoluer. En effet, le 12 décembre, les sénateurs belges ont adopté un texte qui étend aux enfants la dépénalisation de l'euthanasie. Ce texte du Sénat doit encore être validé par la Chambre des députés.
Le Luxembourg est le troisième pays de l'UE à avoir légalisé l'euthanasie, en mars 2009. Le dispositif, interdit pour les mineurs, concerne uniquement les patients en situation médicale "sans issue".
Dans la plupart des pays d’Europe, la loi fait une distinction entre euthanasie active et euthanasie passive. La première consiste à provoquer délibérément la mort d'un patient qui souhaite finir ses jours. La seconde permet à un médecin d'arrêter les soins ou de soulager la douleur, quitte à entraîner le décès du patient.
En Suisse, le "suicide assisté" non condamnable
La Suisse interdit pour sa part l'euthanasie active, mais autorise le "suicide assisté" c'est-à-dire la mise à la disposition du malade incurable d'une potion létale.
En fait, des organisations comme Exit ou Dignitas ont exploité une faille du code pénal qui ne condamne l’aide au suicide "que si elle est pratiquée dans un but égoïste". Ces deux associations fournissent donc une assistance au suicide aux personnes le désirant an toute impunité.
Selon un rapport de l'Office fédéral de la justice et de la police publié en 2009, les suicides "de personnes non domiciliées en Suisse accompagnées par une organisation" sont passés de 91 en 2003 à 132 en 2007. L'ensemble des "suicides assistés" dans le pays a augmenté de 272 à environ 400, sur la même période.
Aide à la mort au Danemark, en Allemagne, en Suède
Depuis 1992, les Danois peuvent faire un "testament médical" que les médecins doivent respecter en cas de maladie incurable ou d’accident grave. L’euthanasie passive peut être alors pratiquée. Elle consiste à arrêter les traitements sur la demande du patient ou à lui administrer des calmants de la douleur qui peuvent accélérer sa mort.
En Allemagne, le Bundestag a voté en juin 2010 une loi similaire. Elle permet à chaque citoyen de faire connaître par écrit son vœu de subir ou non un acharnement thérapeutique. Ce procédé est cependant très encadré.
L'euthanasie passive a aussi été légalisée en Suède en avril 2010: l'interruption du dispositif médical de maintien en vie, à la demande du patient, est autorisée. Une pénaliste suédoise, Margareta Leijonhufvud, rappelle que la déontologie en Suède autorise également un médecin à administrer à un patient en fin de vie des antalgiques même s'ils doivent provoquer une mort prématurée.
En Espagne, Hongrie et République Tchèque, les malades ont également le droit de refuser d'être soignés.
En Grande-Bretagne, la jurisprudence admet depuis 2002 que tout patient peut refuser un traitement, même si cette décision risque d'entraîner son décès. Le suicide assisté reste un crime passible de 14 ans de prison, mais la jurisprudence est désormais plutôt favorable pour les personnes aidant un proche à se suicider par compassion,ainsi que l'illustre le cas de Debbie Purdy.
Cette Britannique atteinte d’une sclérose en plaque, avait voulu s’assurer dès 2008 que son mari ne serait pas poursuivi s’il était présent avec elle en Suisse lors de sa future euthanasie. Le 23 septembre 2009, le responsable des poursuites judiciaires a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt public d’inculper quelqu’un dans le cas où le défunt avait émis "un souhait clair, définitif et informé de commettre un suicide", souffrait d’une maladie incurable ou en phase terminale, et avait de sa propre initiative demandé de l’aide. Néanmoins, il n’a pu apporter de "garanties de ne pas être poursuivi".
En France, un "assassinat" ou un "empoisonnement prémédité"
Fin janvier 2011, la Commission des affaires sociales du Sénat a tranché: l'euthanasie, rebaptisée "assistance médicalisée pour mourir", ne doit pas être légalisée en France. Les sénateurs ont en effet adopté un amendement qui vide de toute substance une proposition de loi visant à autoriser le suicide assisté.
L'article controversé, et désormais supprimé, autorisait les patients atteints d'une maladie incurable - "lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable" - à recourir à "une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur". Cette solution était relativement proche de ce qui se pratique depuis huit ans aux Pays-Bas.
Plusieurs sénateurs, de gauche, du centre et même de droite, avaient voté cet article pour ouvrir le débat sur ce véritable choix de société. François Fillon, alors premier ministre, avait provisoirement clos le débat en écrivant dans une tribune publiée par Le Monde que:
La question est de savoir si la société est en mesure de légiférer pour s'accorder le droit de donner la mort. J'estime que cette limite ne doit pas être franchie"
Son gouvernement avait, par la suite fait, savoir qu'il ne souhaitait pas légiférer, mais défendait l'application "pleine et entière" de la loi Leonetti de 2005 qui interdit l'acharnement thérapeutique et prévoit le développement des soins palliatifs. Cette loi instaure donc un droit au "laisser mourir", assorti de restrictions sévères: il faut deux médecins minimum pour en convenir, après concertation avec les proches du malade.
En attendant la nouvelle loi encadrant la fin de vie au printemps prochain, aider à mourir est toujours considéré en France comme un assassinat ou un empoisonnement prémédité. Ce geste est donc passible de la réclusion criminelle à perpétuité. Dans la pratique toutefois, les tribunaux concluent le plus souvent à un non-lieu ou à une peine symbolique.