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 La belle humanité d'un meurtre

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MessageSujet: La belle humanité d'un meurtre   La belle humanité d'un meurtre Icon_minitime23.12.13 11:03

lundi 23 décembre 2013

Yves Paccalet

L’élue écologiste Sandrine Rousseau a raconté, de façon belle et sereine, la mort de sa mère atteinte d’un cancer en phase terminale. Parce qu’il n’existe, en France, aucune loi qui autorise le suicide assisté, la malade, accablée de douleur et qui ne supportait plus la dégradation physique et morale, s’est résolue à avaler, seule, un cocktail approximatif de médicaments qui l’ont tuée après plusieurs heures d’agonie.

La malheureuse n’a pas eu l’ultime consolation de dire adieu à sa fille ni à son mari. L’absurdité de notre Droit lui a volé sa mort, quand le cancer lui volait sa vie. Notre législation l’a condamnée à une torture inutile, à un mépris supplémentaire, à un camouflet à l’instant du voyage sans retour. Notre Droit imbibé de religion s’est comporté en tortionnaire. Il a privé le mari et la fille des quelques instants de tendresse auxquels ils auraient pu prétendre – ces minutes qui apaisent ceux qui partent et que n’oublient plus ceux qui restent.

Le suicide assisté (médicalement assisté) est devenu légal dans divers pays d’Europe, notamment en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas, ainsi que dans trois États américains (Washington, Montana, Oregon). Il revient à offrir l’ultime cadeau d’une mort maîtrisée à celle ou à celui qui a touché l’extrémité de l’âge ou de la souffrance physique et morale. Il lui propose une fin, sinon douce, du moins débarrassée de l’essentiel de l’angoisse. Il aide à s’éteindre le vieillard épuisé ou le patient au stade irréversible. Il fait à celle ou à celui qui nous quitte l’inestimable présent d’un moment de conscience et de volonté, c’est-à-dire d’humanité. Il tend la main à celle ou à celui qui s’en va pour l’aider à conduire, encore une fois, son destin. Il l’autorise à choisir au lieu d’« être choisi(e) » par le corps médical ou par la famille. Il lui donne la possibilité de créer un petit supplément de tendresse, de poésie ou de philosophie. Il lui confère la capacité d’incarner, une fois encore, l’intelligence et la grandeur de notre espèce. Fût-ce en quelques phrases chuchotées. Ou dans un dernier soupir…

Aider à mourir quelqu’un qu’on aime exige non seulement de l’empathie, mais du courage et de la détermination. Or, c’est cet acte que, jusqu’à ce jour, notre législation prohibe. C’est ce geste qu’une autre loi devrait autoriser… Les tenants (peu ou prou religieux) de l’interdiction du suicide assisté vont, bien entendu, ressortir et rebrailler leurs vieilles lunes. Attention aux abus ! La vie, c’est sacré ! Tu ne tueras point ! Et ainsi de suite… Mais l’expérience des pays plus avancés que le nôtre en ce domaine montre que quelques précautions juridiques simples, par exemple obtenir plusieurs avis civils et médicaux avant tout acte, suffisent à écarter la tentation (trop fantasmée) d’avancer la date de l’héritage. Le suicide médicalement assisté résout le problème des fins de vie insupportables, mais seulement pour les sujets conscients de leur état, aptes à décider de leur sort et à faire connaître leur volonté à leur entourage. Il convient à ceux qui restent capables de programmer le jour et l’heure de leur départ, et d’appuyer sur le bouton de la pompe à perfusion qui leur injectera le produit létal. Ceux-là finiront leur aventure en paix, entourés de l’affection des leurs.

Mais nombre de malades sombrent dans l’inconscience, ou ne possèdent plus les moyens de communiquer à leurs proches ce qu’ils entendent qu’on fasse de leur carcasse. Pour ces agonisants, il n’existe aucune autre solution humaine que l’euthanasie. La « belle mort », selon l’étymologie. La mort qu’inflige à quelqu’un qui souffre un autre représentant de l’espèce humaine – et que notre Droit continue de qualifier de « meurtre » ou d’« assassinat », passible des assises et d’un paquet d’années de prison… La « loi Leonetti », votée en 2005, régit la conduite que le corps médical et les proches doivent observer vis-à-vis du malade en phase ultime. Tout ce qu’elle permet, c’est de la sédation et la cessation de l’acharnement thérapeutique. On recourt à la chimie. On injecte au gisant des remèdes antidouleur, des calmants et des molécules contre l’angoisse. Bref, on l’assomme et on le prive de ses derniers moments d’humanité consciente, sous prétexte d’alléger ses souffrances. On se fiche de savoir s’il ne préférerait pas disparaître plus vite, mais mieux. Plus tôt, mais plus dignement. Peut-être prématurément, mais en homme ou en femme digne, en Homo sapiens fier de sa conscience et de son intelligence…

La « loi Leonetti » a permis quelques progrès dans la gestion des mourants. Elle a révélé aux populations l’existence des soins palliatifs. Mais elle a fait son temps parce qu’elle interdit d’avancer l’heure de la mort. Lorsqu’on ne peut plus rien pour lui, on laisse le patient décéder de soif, de convulsions ou d’autre chose. On le regarde crever. Si l’on a pitié, on augmente sans rien dire la dose de morphine… De nos jours, ce texte législatif n’est plus qu’un monument d’hypocrisie, derrière lequel se réfugient les esprits embarrassés par la religion ou soucieux de maintenir le peuple sous le joug de la morale d’autrefois. Je le dis ici et maintenant : j’ai soixante-huit ans, je suis en bonne forme physique et intellectuelle, mais je connais la fragilité des organismes. Je n’attendrai pas la décrépitude, la perte de conscience, Alzheimer ou la phase terminale de quoi que ce soit pour rendre volontairement – et même gaiement ! – mes molécules à la biosphère. Pour les restituer à la terre, à l’eau, à l’air ou au feu. Pour les envoyer dans la forêt ou dans la mer, dans les rivières ou dans l’espace, voire dans une HLM, un parking ou un grand magasin. Pour les offrir aux enfants qui naissent, y compris s’ils résultent des amours de deux élus du Front National !

Je veux rester l’organisateur de mon décès. Si, demain, je ne suis plus capable de piloter mon corps ni mon esprit, j’accepte que quelqu’un décide à ma place, humainement et dans le respect d’une loi qui nous protège l’un et l’autre. Lorsque le moment sera venu, je désire bénéficier d’un bel et beau suicide médicalement assisté. À l’ancienne, comme les philosophes stoïciens, en relisant une maxime de Marc-Aurèle ; mais sans angoisse ni souffrance physique, grâce aux outils modernes de la science. Si ma conscience s’est déjà dissoute dans la brume des atomes, alors je veux que quelqu’un qui m’aime encore un peu commette sur ma personne le beau meurtre empli d’humanité qu’on appelle l’« euthanasie ».
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