Euthanasie: une proposition essentielle et taboue (Marianne)
Rédigé par Elie Arié le Samedi 21 Décembre 2013 à 13:26 | 40 commentaire(s)
Il ne s’agit pas, dans cet article, de revenir sur les problématiques largement débattues sur l’euthanasie et bien connues : loi Léonetti, acharnement thérapeutique, soins palliatifs, « Droit de Mourir dans la Dignité », suicide médicalement assisté en cas de maladie incurable avec souffrances insupportables, etc., mais d’en signaler un aspect méconnu et auquel je suis personnellement très sensible.
Dans une Tribune Libre publiée dans le quotidien « Le Monde » quelques mois avant sa mort, survenue à l’âge de 93 ans, le professeur Maurice Tubiana, cancérologue, ancien directeur de l’ Institut Gustave-Roussy de Villejuif, pionnier de la radiothérapie anticancéreuse en France (et dont je vous invite à découvrir le parcours professionnel hors normes et les idées iconoclastes ICI ) expliquait comment, avec l’âge, on assiste au déclin progressif ses qualités physiques et mentales, au point qu’il peut devenir insupportable pour certains (mais pas pour d'autres), tant vis-à-vis d’eux-mêmes que de l’image qu’ils en donnent à leur entourage ; et il estime qu’il devrait être alors possible de bénéficier, en en faisant eux-mêmes la demande, et au besoin contre l’avis de sa famille et de ses proches, du suicide médicalement assisté.
Précisons qu’il ne s’agit pas, ici, des cas de figure habituellement invoqués par les défenseurs du suicide médicalement assisté ; ici, il n’y a :
• ni maladie incurable –et peut-être même pas de maladie du tout (à moins de considérer la vieillesse comme une maladie),
• ni douleurs insupportables – et peut-être même pas de douleurs du tout,
• ni dégradation majeure des fonctions mentales type maladie d’ Alzheimer,
• ni perte de la conscience et de la lucidité – au contraire.
Il y a, simplement, le fait qu’ « on ne se supporte plus de se voir comme ça », sentiment purement personnel, variable d’un individu à l’autre (on ne peut donc pas fixer de « normes »), et qui devrait être suffisant.
L’intérêt majeur de cette proposition de Maurice Tubiana, sur lequel il insiste beaucoup, et auquel je suis personnellement très sensible, est que le seul fait de savoir que cette possibilité légale existe constituerait un extraordinaire soulagement, une aide fantastique à supporter le spectacle de sa propre déchéance: « Si ça va trop loin, il me sera toujours possible d’arrêter les frais » ; c’est cette garantie du « Si je ne le supporte plus, je ne serai pas condamné à continuer à le supporter quand même» qui lèverait un énorme facteur d’angoisse- même si très peu de gens –et peut-être même personne, qui sait- auraient réellement recours à cette possibilité juridique : son effet bénéfique et apaisant majeur résiderait moins dans le fait d’y avoir réellement recours que dans celui de savoir que ce recours existe.
On voit bien les deux objections qu’on peut formuler contre cette proposition :
1-« lorsqu'il n’y a pas d’impotence physique ou mentale majeure, chacun est toujours libre de se suicider tout seul » ; il faut savoir qu’en réalité, un suicide, quelle que soit la méthode choisie, est moins simple qu’on ne l’imagine, qu’il existe toujours la possibilité de se rater (j’ai un ami médecin qui s’est raté deux fois), voire d’en sortir avec de graves séquelles ;
2- comment ne pas se poser la question, face à quelqu’un qui déclare « J’en ai assez » et demande à user de ce droit, de savoir s’il ne s’agit pas d’un désespoir temporaire et qu’il aura surmonté dans quelque temps ?
C’est surtout ce deuxième point qui, à mon avis, rend très peu probable l’acceptation de la proposition de Maurice Tubiana.
Dommage.