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  Philippe Bataille

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Vincent Lambert : le juge a raison

Philippe BATAILLE Sociologue 23 janvier 2014 à 17:06 Libération

Ce n’est pas le juge qui pose problème dans l’affaire Vincent Lambert, mais la loi qui fonde son jugement. L’émoi médical qu’il a suscité dénonce l’acharnement thérapeutique auquel un médecin veut mettre fin en arrêtant les soins.
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Mais une interprétation morale de la loi Leonetti sur la fin de vie des Français est défendue par l’avocat des parents du désespéré.

Vincent a 38 ans, il est tétraplégique, son corps coupé de sa conscience est incapable du moindre mouvement. Il dépend d’une alimentation artificielle et d’une hydratation depuis cinq ans.

Ce 16 janvier, le magistrat n’entérine pas la décision médicale d’arrêt de son acharnement thérapeutique en donnant raison à la plaidoirie du refus de l’aide médicale à mourir.

Des directives anticipées écrites de Vincent auraient-elles renversé son jugement ? Une conscience partagée entre les parties en conflit sur le seuil médical de l’acharnement thérapeutique aurait-elle évité l’intervention du juge ?

Rien n’est moins sûr.

Il existe toute sorte de litiges familiaux que la mort exacerbe.

Les tribunaux le savent bien. Les soignants aussi. Tout comme les docteurs qui soupçonnent d’intentions meurtrières des familles réunies qui expriment ou qui relaient une demande d’aide à mourir. Le savent aussi des mères détruites, un père défait, leur enfant, si mal né, est tant handicapé qu’il en décédera d’ici à vingt ans avec ce cerveau déjà en partie éteint et ce corps qui se déforme en grandissant. Médecins et soignants leur expliquent la lecture de la loi Leonetti «faite par le service». Comme avec l’avocat, il est question de la valeur de la vie, de sa qualité toujours possible et des projets de vie qu’il faut envisager pour l’être vulnérable. Pour ces parents, la médecine laisse si peu de choix qu’on en craint l’infanticide dans des services de réanimation pédiatrique de pointe qui se confrontent à la demande d’aide médicale qui «ferait mourir l’enfant plus dignement qu’il ne vivra», pleurent les parents.

Sous les yeux du juge, la loi ne supporte effectivement pas l’euthanasie, ni le suicide assisté.

Le texte justifie l’impossibilité morale de la conscience médicale d’une aide active. Il dénonce l’intention du geste à surveiller. Le magistrat comprend qu’aucun des masques légaux qui la dissimulent ne s’applique à Vincent Lambert.

La loi suggère bien d’arrêter au motif de l’acharnement thérapeutique, mais sans s’ouvrir à la proposition d’une exception d’euthanasie.

Le docteur de Vincent aurait pu tenter le «double effet», mort par effet indésirable et inattendu d’une injection non létale dont la dose est un peu forte ou augmentée progressivement, mais il serait désormais accusé de meurtre. Le jugement de Châlons-en-Champagne en devient celui de l’«euthanasie passive» et de la mort légale par suspension d’hydratation et d’alimentation pour mettre fin à un acharnement thérapeutique.

Le 11 mai 2013, déjà, le juge a ordonné la reprise de l’alimentation artificielle. Elle avait été stoppée depuis avril, mais avec une hydratation ralentie pour que Vincent ne s’éteigne pas trop rapidement et que sa mort n’éveille pas le soupçon de meurtre ou d’euthanasie. Elle allait être «naturelle». Réussir cliniquement le fameux «laisser-mourir» à la française, distinct du «faire-mourir» que la loi pourfend. D’autres médecins qui pratiquent l’euthanasie savent qu’ils sont réduits au secret et au silence, renvoyés à la clandestinité par le Parlement français.

Toutefois, ce n’est pas parce qu’une loi ne dit pas tout dans un domaine réputé difficile à arbitrer que les droits qu’elle promeut doivent être bafoués. Les juridictions y aident. Mais comment faire ?

D’un côté, la loi Leonetti souligne que le médecin décide seul de l’acharnement thérapeutique, mais qu’il consulte largement pour l’arrêt de la vie. D’un autre côté, le texte promeut les droits des malades, mais il les prive de l’aide active à mourir. La loi brime en outre l’exceptionnel tempérament des personnalités courageuses face à la maladie ou au handicap lorsqu’elles recherchent la solidarité pour mourir moins solitaires. La loi combat ces dérives qu’elle soupçonne.

Dans le même temps, des pompiers s’alarment parfois lorsqu’ils transportent des résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Ils sont souvent si faibles qu’ils décèdent dans leur véhicule, ou aux urgences peu après leur arrivée, ou si peu de temps après leur retour dans leur institution qui applique aussi la loi Leonetti en ses murs.

L’acharnement thérapeutique est une réalité française que vit Vincent. Il dépend de la loi Leonetti pour trouver la solution aux problèmes qu’elle pose. Ce qui est un véritable casse-tête pour les services de médecine depuis dix ans. Les droits des malades s’y heurtent à la morale médicale et soignante de l’interdit de l’aide médicale à mourir.

Pourquoi dénoncer un acharnement thérapeutique maintenant, puisque Vincent est stable depuis cinq ans ? Il est handicapé, en conclut l’avocat qui donne le meilleur écho à l’orientation morale du texte légal. Ses arguments relient aisément la conscience coupable d’une aide médicale à mourir au principe de solidarité due à la grande vulnérabilité que la loi protège. «Donner la mort, ne relève pas de la médecine», insiste le président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (1). Ne jamais délivrer la mort, ont compris les docteurs qui renoncent aux conduites médicales à tenir devant la vie qui s’en va ou la mort qui se réclame, jusqu’à ne plus parvenir à mettre un terme à son acharnement thérapeutique. L’impasse est totale.

Quel équilibre le texte suggère-t-il entre les droits des malades et les devoirs du médecin ? Quel droit pour Vincent Lambert ? L’affaire du juge de Châlons-en-Champagne indique qu’avoir écrit une morale médicale à l’encre des droits des malades pose problème. D’autant que l’homme de loi peut avoir en tête Jean Leonetti qui répète à l’envi que «sa loi est un texte de combat» contre «l’euthanasie clandestine» des médecins qui tuent sans le dire ; qu’elle lutte contre «l’obstination déraisonnable» ; qu’elle condamne «l’abandon médical» de son patient.

Soin ou acharnement thérapeutique ? Obstination déraisonnable ? Fin de vie ou handicap ? Absence de consentement et directives anticipées ? Valides ou pas ? De cela, toute la médecine débat abondamment, mais toujours sans réponse.

S’être servi des droits des malades pour contrôler les obligations morales des médecins rend la loi sur la fin de vie inopérante et malfaisante. Elle donne toujours raison aux arguments d’opposition à l’euthanasie et au suicide assisté. Ma conclusion est d’inverser le cours de cette dérive, et d’introduire le droit à l’assistance soignante de l’aide médicale à mourir dans une loi solidaire et bienfaisante, plus éthique.

(1) Vincent Morel, «le Monde» du 4 octobre 2012.

Dernier ouvrage paru : «A la vie, à la mort», éditions Autrement, 2012.
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