Qui veut (vraiment) mourir ? Euthanasie et consentement
Publié le 10 février 2014 dans Sujets de société
Si quelqu’un tient absolument à mourir, qu’il prenne la responsabilité de son suicide. S’il ne peut se prononcer lui-même sans contrainte ni ambiguïté, alors la prudence exige qu’on fasse le choix de la vie.
Par Stanislas Kowalski.
Euthanasie Faire le bonheur des gens malgré eux ? Le tenter, c’est le plus sûr moyen de faire leur malheur. Non pas qu’il faille se désintéresser du sort d’autrui. C’est un devoir de secourir, d’assister, de conseiller son frère qui est dans la détresse. Mais le risque est grand de se tromper.
C’est un devoir aussi de sauver un homme qui tente de se suicider. La volonté de se supprimer est rarement ferme, et on est généralement heureux, après coup, d’avoir évité la mort. D’ailleurs, si la volonté de mourir était si sûre, on choisirait des moyens ne laissant aucune chance. Les médicaments ne constituent pas une méthode performante. Il y a des poisons, parfaitement sûrs, disponibles dans le commerce ordinaire. La noyade est contrariée par des réflexes. On va rarement faire la tentative très loin d’une rive. L’accident de voiture est un suicide honteux. Il faudrait aller fort vite ou se jeter dans un précipice pour être certain de réussir. La défenestration depuis le premier ou le deuxième étage offre surtout une grande probabilité de recevoir des visites à l’hôpital — et de boiter toute sa vie. La position qui assure le suicide par arme à feu est bien connue. On raconte que Hitler se l’est fait expliquer dans son bunker. Pourtant elle est rarement utilisée. L’immense majorité des tentatives de suicide sont des échecs. En 2010, on n’a compté « que » 10 333 suicides réussis. C’est toujours trop, mais c’est peu par rapport à près de 220 000 tentatives de suicide ayant donné lieu à un contact avec le système de soins. Ces chiffres en disent long sur la volonté de mourir. Si la possibilité de sauver le candidat au suicide existe, alors il faut le tenter, car il lui reste sûrement quelque part une lueur d’espoir. La prudence exige que l’on fasse cette hypothèse. Au demeurant, si par hasard on se trompait, le suicidaire aurait toujours la possibilité de réessayer, sans autre dommage qu’un peu de temps perdu.
On pourrait évidemment faire des remarques analogues à propos de l’euthanasie, joli mot pour une réalité atroce. Un homme mûr et capable ne devrait pas avoir besoin de recourir à un tiers pour mourir. Si vraiment il veut disparaître, a-t-il besoin que quelqu’un prenne la décision à sa place ? A-t-il besoin d’une caution morale pour le faire ?
Il y a des cas extrêmes, je veux bien l’admettre, où l’organisme est tellement affaibli, qu’il ne peut tenir une arme ou agir en aucune manière. Mais dans tous les cas, la demande d’euthanasie pose la question de la validité du consentement. Demander l’aide ou l’action d’autrui, c’est lui demander au fond qu’il décide à votre place. Que souhaite réellement celui qui demande ? Qu’on accède à sa demande ou qu’on la rejette ? S’agit-il d’obtenir l’autorisation de mourir ou est-ce une façon de solliciter un peu de compassion ? Je ne sais pas si la souffrance physique est véritablement intolérable ou si la question du malade est, en réalité, le test ultime de l’amour de ses proches. Combien de fois le mourant n’a-t-il pas menacé de partir, au temps de sa santé, simplement pour être retenu par sa femme ou ses amis ? Nous avons tous été, un jour ou l’autre, confrontés à une de ces situations, où il est impossible de savoir ce que l’autre veut véritablement.
On se retranche derrière l’incurabilité de la maladie. Nous savons que Papi est en fin de vie, que la médecine ne peut plus le guérir et qu’elle peut tout au plus atténuer ses souffrances. Mais la douleur n’interdit pas la joie, quand on est entouré des siens. Et le caractère inéluctable de la mort n’empêche pas de dire : “Encore cinq minutes, monsieur le bourreau.” La volonté de mourir a peu de rapports avec la souffrance physique ou la proximité de la mort, mais beaucoup avec l’amour de sa famille et le sentiment d’avoir quelque chose à offrir.
Il est naturel d’avoir des sentiments confus, lorsque l’on est au pied du mur. Je ne sais pas moi-même comment je réagirai lorsque l’heure sera venue. A priori, je ne suis pas favorable au suicide et à la désespérance qu’il porte en lui. Je prie d’avoir la force de vivre ma vie jusqu’au bout. Mais il serait bien présomptueux de ma part d’affirmer que je resterai toujours digne dans la souffrance. On peut tout aussi légitimement douter de la résolution inverse. Il est facile, à vingt ans, dans l’euphorie d’une soirée entre amis, de dire : “Je n’ai pas peur de la mort. Ce qui me fait peur, c’est la déchéance.”
Jusqu’au dernier moment, je peux renier mes rodomontades.
Le risque est grand d’influencer l’agonisant et de profiter de sa faiblesse. Ou de se tromper et de répondre à un désir qui n’existe plus. On n’admettrait pas qu’un homme signe un contrat dans une douleur extrême. On dénoncerait à juste titre un testament révisé durant une agonie. Et on envisage sans sourciller de mettre la mort dans la balance ! Qu’on débranche les appareils médicaux qui maintiennent le patient en vie artificiellement, cela ne me dérange pas, s’il en a fait la demande répétée. C’est une question d’humanité. Mais qu’on fournisse un kit de suicide, c’est déjà plus douteux : c’est une façon de lui dire qu’il est temps qu’il parte et laisse les autres tranquilles. L’informer de son “droit à mourir dignement”, c’est peut-être lui signifier qu’il doit faire place nette.
Si quelqu’un tient absolument à mourir, qu’il prenne la responsabilité de son suicide. Ce n’est ni à un médecin, ni à la famille de se prononcer. S’il ne peut se prononcer lui-même, et se prononcer sans contrainte ni ambiguïté, alors la prudence exige qu’on fasse le choix de la vie.