"J'ai loué mon appart sur Airbnb, il a servi de salle de shoot"
Par Dominique Nora
Publié le 19-12-2015 à 09h15
Jérôme, qui avait mis son deux-pièces à louer sur Airbnb en septembre pour payer ses impôts, a vécu un cauchemar... Rare, mais terrifiant.
L'appartement mis en location sur Airbnb par Jérôme C. (DR - L'Obs)L'appartement mis en location sur Airbnb par Jérôme C. (DR - L'Obs)
La nuit du lundi 5 octobre, les occupants ont squatté la cour, détérioré les équipements communs (blocage des portes d’entrée pour faciliter les aller-venues) et vandalisé l’ascenseur (en panne : panneau de porte à remplacer suite à un choc). Par ailleurs tous les interphones ont été sollicités vers 3 heures du matin."
Jérôme raconte sa mésaventure, début décembre, dans un café de son quartier. Deux mois après, il est encore traumatisé… Début septembre, ce quadragénaire, assistant-réalisateur de cinéma et propriétaire depuis six mois d’un 42m² refait à neuf dans le 11ème arrondissement parisien, a mis son appartement en location sur Airbnb. Ses amis lui avaient vanté les mérites de la plateforme américaine de location entre particuliers : conviviale, fréquentée... et rémunératrice. Beaucoup d’entre eux la pratiquaient pour joindre les deux bouts :
Je n’avais jamais fait ça… mais je n’avais pas de quoi payer mon troisième tiers provisionnel. Alors j’ai mis mon appartement en location pour un mois, à 1.800 euros… et je suis allé habiter chez des amis."
S’il avait su…
"Des vomis et des détritus dans la cour"
Ce 7 octobre donc, Jérôme - qui était censé récupérer l’appartement le lendemain - se rue chez lui, angoissé. Coup de sonnette : un homme qu’il n’a jamais vu lui ouvre. "Il était à peine habillé, ne parlait ni français, ni anglais… Il était semble-t-il hongrois, et vivait là, chez moi, avec un chien !", raconte-t-il. L’appartement est un capharnaüm : chaleur étouffante, lits ouverts, matelas à nu, affaires en grand désordre. "J’aperçois de loin des taches sur le matelas, mais je n’inspecte pas les lieux." Il exige immédiatement de voir David H., le jeune homme à qui il a loué le deux-pièces sur le site.
Appelé par l’inconnu, celui-ci arrive un quart d’heure plus tard, avec un ami. Jérôme se fâche, et réclame une remise en état impeccable pour la sortie, le lendemain.
La gardienne de l’immeuble, que je croise alors, me raconte des semaines de tracas : porte d’entrée bloquée, aller et venues de jour comme de nuit d’un grand nombre d’hommes de tous âges. Des vomis et des détritus dans la cour…"
Quand Jérôme arrive le 8 octobre pour récupérer ses clefs, un ménage superficiel a été fait... et les occupants nient en bloc avoir occasionné de quelconques nuisances. David explique que, de toutes façons, sa carte bleue a été laissée en caution chez Airbnb.
Une fois les locataires partis, un examen approfondi de son appartement plonge Jérôme dans la consternation. La liste des dégâts, déclarés à Airbnb est la suivante :
•Taches dues à des gouttes de sang sur le parquet, allant de la chambre aux toilettes
•Taches de sang dans la salle de bain, près des toilettes dans des zones plus difficile d'accès, mais surtout, sur la couette qui en est constellée, le matelas de la chambre, le canapé du salon, les tapis, un drap…
•Il manque deux serviettes de bain, et une dizaine de verres à pied
• Les stores déroulant neufs sont inutilisables
•Un des radiateurs neufs du salon est abîmé
• L’ascenseur est en panne, Otis ayant fait un devis à 1.200 euros pour la réparation
Jérôme :
J’étais furieux ! Pas tant à cause des dégâts matériels, que parce j’ai eu le sentiment d’avoir été sali dans mon intimité. J’ai tout de suite pensé à ma fille, qui vient habiter à la maison une semaine sur deux…"
3.600 euros de factures
Que s’est-il exactement passé chez lui, durant ces quatre semaines ? Il a tout de suite pensé à de la prostitution masculine... Mais ce n’était peut-être pas tout :
Un ami m’a alerté : ce genre de taches de sang et de vomissures sont typiques de la prise de drogue. Mon appartement a probablement été transformé en salle de shoot ! "
Jérôme entre, alors, dans de longues tractations avec Airbnb. "J’ai parlé à des personnes différentes aux bureaux de Paris, d’Irlande… et même des Etats-Unis, en plein milieu de la nuit pour eux." Sur leurs conseils, il passe un temps fou à constituer un dossier : il porte plainte au Commissariat, prend des photos, rédige un récit des événements, établit des devis.
(Les taches de sang sur la couette - DR/L'Obs)
Entre l’intervention d’une société spécialisée pour faire disparaître les taches de sang, les diverses réparations, et l’annulation immédiate des réservations de location pour novembre, la facture totale se monte à 3.600 euros. "Cela a mis deux mois, mais j’ai fini par récupérer la totalité de la somme… même si au départ Airbnb ne voulait pas payer la réparation de l’ascenseur, au prétexte que leur garantie ne couvrait pas les parties communes. "
Mais comment Jérôme aurait-il pu se douter de ce scénario d’horreur ? " Sur Airbnb, ce David. avait un profil tout à fait normal", affirme-t-il. Ses dates collaient parfaitement, ses messages étaient polis, écrits en bon anglais : "Il se présentait comme un joueur de football, habitant entre Zurich et Los Angeles, ne buvant pas et ne fumant pas, pour rester en bonne santé !" Il venait, soi-disant, voir sa sœur et ses neveux à Paris. Surtout, les commentaires de ses précédents hôtes étaient positifs...
Rétrospectivement, cependant, Jérôme se dit qu’il a été naïf, qu’il aurait dû être alerté par des détails bizarres, et accepter une des nombreuses autres demandes qu’avait généré son annonce. "Quatre jours avant la remise des clefs le 4 septembre, le paiement par carte de crédit de David ne passait pas. Il m’a alors proposé de court-circuiter Airbnb, et de me payer 200 euros supplémentaires en cash, dès son arrivée. Je n’ai pas accepté… Mais je n’ai pas pour autant annulé sa réservation. Finalement, il a réglé par carte avec un deux jours de retard."
Autre bizarrerie : le jour de la remise des clefs, ce n’est pas David qui se présente, mais un certain Lazslo, envoyé par lui avec une boîte de chocolats. "Il m’a expliqué que David ne pouvait pas être là, parce que sa sœur avait perdu son fils dans des circonstances terribles… " Vraiment ? Mais peu après, David a repris contact par mail pour s’excuser de son silence, et assurer à Jérôme que tout allait parfaitement bien dans l’appartement...
La défense d'Airbnb
Jérôme reconnaît qu’il a été léger, qu’il aurait dû laisser son portable à la concierge, et/ou passer vérifier que tout allait bien. Mais il était pris par son travail… et ne voulait pas avoir l’air d’espionner ses hôtes. Aujourd’hui, il se mord les doigts d’avoir cru à cette "économie collaborative, basée sur la confiance, où tout le monde est beau, gentil et bien-intentionné. Pour lui, "Airbnb ne prend pas assez de précautions : pour les séjours de longue durée, le site devrait préconiser une visite obligatoire de l’appartement."
Il est vrai qu’il y a eu d'autres problèmes , racontés dans la presse : un cas de proxénétisme à Lyon, signalé en janvier dernier sur Rue89. Une maison ravagée à Calgary, en avril. Et, plus sérieux : le viol d’un jeune locataire américain par son hôte à Barcelone cet été!
Chez Airbnb France, on assure pourtant que les incidents sont "rarissimes", qu’il s’agit le plus souvent de malentendus, ou d’arbitrages à effectuer entre locataire et propriétaire sur des dégâts mineurs. Le rapport d’activité de la société pour l’été 2015 explique :
La communauté Airbnb a grandi très vite, parce qu’elle est fondée sur le respect et la gentillesse".
La société assure qu'une équipe dédiée de 250 personnes est disponible nuit et jour, sur tous les fuseaux horaires de la planète. "Nous ne cessons de travailler à de nouvelles fonctionnalités et services qui aident à rendre Airbnb plus sûr". Mais le groupe refuse de donner des taux d'incidents sur la France, son deuxième marché derrière les Etats-Unis.
Seuls deux indications chiffrées sont rendues publiques :
- Sur un total mondial de 17 millions de voyageurs Airbnb, au cours de l’été 2015, l’équipe "Confiance et Sûreté" a reçu moins de 300 appels qu’elle a classifiés comme "urgents".
- Sur un cumul de 60 millions de séjours, depuis la mise en service du site en 2008, il y a eu moins de 1.000 cas donnant lieu à des dédommagements supérieurs à 1.000 dollars.
Hélas pour lui, Jérôme C. a eu le malheur d’être l’un d’entre eux, dès sa première tentative. Une chose est sûre : pour lui, il n'y en aura pas d'autres !
Dominique Nora