Greffe de l'extrême : une tête de singe sur le corps d'un autre
Sergio Canavero, qui compte greffer une tête sur un corps chez l'homme en 2017, affirme avoir réussi l'expérience sur un singe. Info ou intox ?
Par
Gwendoline Dos SantosPublié le 21/01/2016 à 06:40 | Le Point.fr
Le neurochirurgien Sergio Canavero pense être prêt pour tenter une greffe de tête chez l'homme en 2017. © ALBERTO RAMELLA/SYNC/AGFEDITORIAL/SIPA
Une tête de singe vient d'être greffée sur le corps d'un autre singe. En fait, il serait plus juste d'écrire l'inverse : le corps d'un singe vient d'être greffé sur la tête d'un autre. C'est l'exploit réalisé par le Pr Sergio Canavero, neurochirurgien de l'université de Turin et le professeur XiaoPing Ren de l'université médicale de Harbin. Car le singe aurait conservé ses fonctions cérébrales. C'est en tout cas ce que le neurochirurgien affirme à la sérieuse revue
Newscientist, même si les résultats de cette transplantation insolite ne font pour l'instant l'objet d'aucune publication et ne sont par conséquent pas validés par les pairs.
L'an dernier, Sergio Canavero avait présenté pendant plus de deux heures et demie à l'Académie américaine de chirurgie neurologique et orthopédique son projet baptisé Heaven (Head Anastomosis Venture) / AHBR (Allogenic Head Body Reconstruction), relayé par les tambours médiatiques. Inspiré des travaux de Robert White dans les années 1970 aux
États-Unis, Heaven consiste, ni plus ni moins, à greffer un corps humain sur la tête d'un autre humain. Pas pour le fun, mais avec l'objectif de donner un corps neuf (provenant d'une personne en état de mort cérébrale) à une personne tétraplégique, par exemple.
LIRE aussi « Changer de corps (ou de tête), c'est pour demain »Les 150 participants à cette conférence étaient restés dubitatifs tant la montagne d'obstacles à franchir semblait élevée : ressouder la moelle épinière, reconnecter les fibres nerveuses, rétablir la circulation sanguine rapidement dans le cerveau, préserver les fonctions cognitives… « Absurde, infaisable et ridicule », déclarait pour l'occasion Arthur Caplan, bioéthicien à la New York University School of Medicine. En somme, Canavero passait plutôt pour un scientifique hurluberlu faisant son numéro pour récupérer des fonds…
Vivant, mais paralysé
Le neurochirurgien ne s'est semble-t-il pas démonté face aux sarcasmes de ses confrères. Il disait l'an dernier qu'il serait prêt pour tenter la greffe de tête d'ici à 2017. Aujourd'hui, il est à mi-chemin, et respecte son calendrier. Avec ses collègues chinois et sud-coréens, Canavero dit avoir procédé à diverses expérimentations sur des cadavres humains et sur des animaux. Notamment à l'école de médecine de l'université de Konkuk en
Corée du Sud, sur des souris dont la moelle épinière a été sectionnée avant d'être ressoudée, et à l'université médicale de Harbin où Ren Xiaping est connu pour avoir réalisé 1 000 greffes de tête sur des souris. L'utilisation de polyéthylène glycol, parcouru par un courant électrique, aurait permis de préserver la membrane des cellules nerveuses tout en favorisant la cicatrisation. D'après les chercheurs, les petits rongeurs ont retrouvé les fonctions motrices de leurs quatre membres.
En ce qui concerne la tête du singe, les chercheurs disent avoir réussi à rétablir la circulation sanguine entre le corps et la tête préalablement refroidie (une manière de diminuer son métabolisme pour éviter la souffrance due au déficit d'irrigation). Toutefois, ils ne sont pas parvenus à raccorder la moelle épinière. Le singe a donc survécu sans retrouver ses fonctions motrices, mais son cerveau n'aurait subi aucune lésion. Pour des raisons éthiques (sic !), l'animal n'a pas été maintenu en vie au-delà de 20 heures. Un espoir de réaliser une telle greffe un jour chez l'homme ? « Il est important que les gens arrêtent de croire que c'est impossible. C'est parfaitement possible et nous sommes en train d'y travailler », a déclaré le neurochirurgien à la revue britannique. Canavero cherche déjà des fonds pour donner un nouveau corps à un jeune homme russe volontaire de 31 ans, Valery Spiridonov, souffrant d'une maladie entraînant la dégénérescence de ses muscles.
Bullshit ?
Quoi qu'il en soit, nombreux sont ceux qui restent sceptiques et attendent des résultats plus probants. « Quand ce sera publié dans une revue à comité de lecture, je serai intéressé. Je pense que le reste est BS (BS =
bullshit = merde de taureau, NDLR) », souligne de nouveau le bioéthicien Arthur Caplan. Ces travaux, qui posent non seulement des problèmes techniques, ne sont pas en reste d'un point de vue éthique. Greffer un corps de 20 ans sur une tête de 80 ? Qui serait le père d'un enfant éventuel ? Le donneur du corps ou le propriétaire de la tête ? Les travaux du neurochirurgien pourraient néanmoins fournir de nouveaux éclairages sur la réparation de moelles épinières à la suite de traumatismes.
Que les scientifiques impatients se rassurent, les travaux de Canavero et ses collègues seraient déjà consignés dans pas moins de 7 articles, prêts à être publiés dans les revues
Surgery et
CNS Neuroscience & Therapeutics dans les mois qui viennent. En tout cas, c'est ce qu'il dit. Il va donc falloir attendre…
Bullshit or
not bullshit ?