La profusion de parutions autour de Taizé prouve qu’une page de l’histoire de cette communauté se tourne. La mort du fondateur n’y est certainement pas étrangère. Mais parmi les ouvrages qui tentent d’évoquer cette aventure d’un demi-siècle, certains tiennent plus d’une hagiographie modernisée, parfois même d’une légende dorée, que d’un vrai travail d’histoire ou de sociologie. Celui de Jean-Claude Escaffit, journaliste à La Croix puis La Vie, et Moïz Rasiwala, diacre, ancien volontaire dans la communauté, Histoire de Taizé n’échappe qu’en partie à cette veine. C’est largement un ouvrage de sympathie mais qui ne dissimule pas les difficultés et résistances rencontrées par Taizé. Les témoignages sont une mine d’informations.
3 Roger Schutz et ses confrères fondent en 1940 la première communauté monastique protestante depuis la Réforme et transforme un petit village sur le déclin rural, Taizé, en un point de ralliement mondial. Cet expérience rencontre de multiples difficultés et tentent de trouver d’autres voies pérennes que l’institutionnalisation. La plasticité de cette fondation, tournée vers les chrétiens séparés puis à partir de la fin des années soixante vers une jeunesse déboussolée, lui permet de connaître un véritable succès public. L’usage de la musique, l’aspect festif, le refus de la direction de conscience au profit des interrogations, méditations et prières vont répondre à l’attente d’un public jeune désorienté, en quête d’absolu.
4 La question hante, celle des liens avec Rome et la foi catholique. Dès l’origine, le choix du célibat soulevait débat et l’engagement à vie choque chez les Réformés. Les difficultés avec la Fédération protestante de France, la défense de plus en plus prononcée d’un ministère universel du pape et la proximité avec Jean-Paul II, accentuent le malaise. Cette « ambiguïté » fait la fécondité, ainsi que la fragilité, de Taizé. Jean-Claude Escaffit et Moïz Rasiwala évoquent, par exemple, les interrogations de Roger Schutz en particulier à la fin des années soixante avant le lancement du concile des jeunes et son trouble lors de la conversion au catholicisme et l’ordination sacerdotale de son complice Max Thurian, en 1987.
5 On perçoit néanmoins les raisons du succès de Taizé : un fondateur charismatique, polygraphe et pérégrinant, le rôle essentiel du thème de la compassion, une forme évangélique à l’image des apôtres (voyages, « lettres » de forme interrogative plutôt qu’injonctive, robe blanche…), le renouvellement incessant (des publics, des approches, des méthodes) et une indéniable capacité de médiatisation.